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Où est-elle cette "mémoire poétique" que décrivait l’immense Milan Kundera, comme le lieu qui abrite et conserve tout ce qui nous a charmé et ému, en un mot, tout ce qui donne à notre vie sa beauté ? Qu’est-elle devenue dans notre conscience collective ? Sa disparition n’est-elle pas la conséquence de son oubli dans nos consciences personnelles ?
Au milieu d’une foule dégoulinante
Sur les chemins vers Compostelle, un petit village espagnol en bord de mer. Nous nous arrêtons, assoiffés, fatigués et plutôt affamés aussi. Le soleil est à son zénith. Les vacanciers arborent tatouages et nudités que de tous petits bouts de tissus peinent à cacher… Tout est assez triste sur les plages d’aujourd’hui. On y montre ce que nul ne souhaite voir, on y étale sa chair sans vergogne en pensant être libre. Au milieu de tout ça, un dame âgée revêtue d’une robe blanche aux fleurs multicolores se présente devant nous. Derrière elle, son époux, cambré, le regard clair, chapeau de paille et pantalon de toile, la chemise bleue choisie et repassée. Elle nous salue en français. Son accent, nous dit-elle, trahit un retour en Espagne qui date de plus de cinquante ans. Elle a vécu naguère à Paris, dans le XVIe arrondissement, près de l’église espagnole. Femme de ménage, explique-t-elle, dans une famille bourgeoise. Son mari précise, fier, qu’elle s’est fait renvoyer de sa place par un employeur dont l’épouse la trouvait trop jolie. Les minutes s’écoulent, au milieu d’une foule dégoulinante de crème, de sueur et d’exhibition de soi. Elle ne nous parle que de choses belles et légères : sa joie de parler français, d’évoquer Paris, et de partager avec nous quelques échos de notre pèlerinage. Nous nous saluons avec politesse. Ils repartent, distingués.
Une marque de respect
L’élégance est une marque d’humanité, elle est un signe de l’attention que l’on veut porter à l’autre. Non pour qu’il vous admire, mais pour qu’il perçoive le respect qu’on lui porte. Elle n’est pas narcissique mais, par nature, empathique. Elle n’est pas là pour se mettre en valeur et pour éveiller chez autrui quelque instinct animal. Elle s’exprime pour lui témoigner tout le bien qu’on lui souhaite, la considération en laquelle on le tient.
Ce couple de nonagénaire ne possédait probablement pas une penderie hollywoodienne, ils étaient libres de l’oppression mondaine qui oblige désormais tout vieillard à jouer à l’adolescent. Ils auraient pu être habillés de haillons ils auraient fait preuve de la même élégance : la posture, les mots, les regards et la voix ne sont pas affaires de marques et de fortunes. Et leurs corps à tous deux, revêtus de cette beauté-là, renvoyaient les fantasmes tristes de la foule alentours à la morosité. Ils ne jouaient pas, non, mais s’étaient nourris de ce qui les avait, leur vie durant, émus et charmés, et ainsi, s’étaient laissés envelopper de ce qui donne à nos vies sa beauté.