La liberté d’un côté, la paix civile de l’autre
Pie VII sait que l’état religieux de la France, grand pays catholique, est déplorable. Les enfants ne sont plus catéchisés, leurs parents ne sont pas mariés, le nombre de prêtres a drastiquement baissé, et l’Église constitutionnelle créée par la Révolution est toujours présente et agissante. Un accord avec le gouvernement français paraît donc indispensable pour redresser la situation. Pourtant, le Pape et les cardinaux ont souffert de la Révolution. Ils auraient toutes les raisons de ne pas vouloir traiter avec le gouvernement français. Les déclarations de Bonaparte en Égypte, par exemple ("nous sommes allés à Rome et avons renversé le gouvernement du Pape, qui poussait toujours les chrétiens à faire la guerre aux musulmans"), ne sont pas passées inaperçues.
En outre, le gouvernement français est composé de révolutionnaires pas particulièrement connus pour leur amour de l’Église catholique. Les deux principaux ministres de Bonaparte, Fouché et Talleyrand, en sont même des ennemis déclarés. Un grand nombre d’éléments pourrait donc pousser le Saint-Siège à refuser de s’accorder avec la France. Pourtant, conscient des enjeux, Pie VII décide d’accorder au gouvernement tout ce qu’il demande y compris le droit de nomination des évêques, en échange de la liberté pour l’Église. La seule limite que le Pape s’interdise de franchir, c’est le dogme, c’est-à-dire ce qui a été confié à l’Église par le Christ pour qu’elle le garde et qu’il n’est pas en son pouvoir de modifier.
Un accord bénéfique de part et d’autre
De son côté, Bonaparte a lui aussi intérêt à conclure un accord avec le Saint-Siège. Il sait qu’il n’y aura pas de paix civile en France sans paix religieuse. Il voit en cela plus loin que la plupart de ses contemporains, et notamment que Fouché et Talleyrand. Ceux-ci, qui ont été ecclésiastiques, redoutent le retour de l’Église catholique, tant pour ce qu’ils estiment être le bien du pays que pour leurs propres intérêts. Ils vont donc s’ingénier à faire échouer les négociations. Comme ils ne peuvent pas s’opposer directement à Bonaparte, ils vont chercher à ce que la rupture vienne du Saint-Siège. Talleyrand fait son possible pour durcir la position française dans les négociations. Fouché persécute quant à lui autant qu’il le peut les catholiques, et en particulier les prêtres, ce qui lui vaudra même une réprimande écrite de Bonaparte d’une rare sévérité. En outre, la France révolutionnaire se trouve au ban des nations qui n’en reconnaissent pas le gouvernement. Un traité avec le Saint-Siège est une façon de légitimer le pouvoir de Bonaparte.
Sans les volontés conjointes et résolues de Pie VII et de Bonaparte, les négociations n’auraient donc pas abouti.
Sans les volontés conjointes et résolues de Pie VII et de Bonaparte, les négociations n’auraient donc pas abouti. Ce traité est, selon le mot de François Cacault, représentant de la République française à Rome, "l’ouvrage d’un héros et d’un saint". Il survivra à tous les régimes qui se sont succédé en France au cours du XIXe siècle. Il a fourni un cadre légal qui a permis à l’Église de récupérer ses forces après la tourmente révolutionnaire. La méfiance réciproque était pourtant forte au début, surtout après le vote des articles organiques, sorte d’interprétation unilatérale du Concordat que le Saint-Siège n’acceptera jamais. Ainsi, un traité dont la négociation a été particulièrement difficile, et l’application tourmentée, a finalement été bénéfique tant à l’Église qu’à la France.
En Chine, de grands défis pour l’Église
Même si les situations sont très différentes, il est possible de trouver des analogies entre ce traité et celui conclu par le Saint-Siège avec le gouvernement chinois. En Chine aussi, l’Église fait face à des défis qu’il est beaucoup plus difficile de résoudre sans un accord lui donnant un minimum de stabilité institutionnelle. Ainsi, il y avait en Chine, comme il y avait en France révolutionnaire, un certain nombre d’évêques non reconnus par le Saint-Siège. Il fallait mettre fin autant que possible à cette situation menaçant l’unité de l’Église.
Il y a en Chine de grands défis pour l’Église, et notamment celui de l’exode rural. Les catholiques, qui proviennent parfois de milieux ruraux, ont du mal à continuer de pratiquer leur foi lorsqu’ils arrivent en ville. Plus généralement, la société chinoise, qui évolue rapidement sur bien des aspects, est remplie de défis pour l’Église. Au premier rang d’entre eux, on trouve l’impératif apostolique. La mission évangélisatrice de l’Église peut se dérouler dans n’importe quelles conditions, car c’est Dieu qui lui donne son efficacité, mais cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas chercher à les améliorer.
Pour la Chine, une question de crédit international
De son côté, le gouvernement chinois a intérêt à conclure un accord avec le Saint-Siège. Toutes les grandes nations entretiennent des relations diplomatiques avec lui. La situation de la Chine vis-à-vis du Saint-Siège la singularise en un sens négatif sur la scène internationale. Penser, comme Staline, que le rôle du Saint-Siège dans le concert des nations est proportionnel à la taille de son armée, c’est-à-dire insignifiant, serait d’une grande naïveté et témoignerait d’une profonde méconnaissance des relations internationales. Le gouvernement d’une grande puissance mondiale ne peut pas tomber dans une telle caricature. La Chine n’a par ailleurs rien à craindre d’une croissance du catholicisme à l’intérieur de ses frontières. Les catholiques aiment leur pays et lui sont loyaux. De façon plus générale, le christianisme est une force de progrès social phénoménale. C’est lui qui explique que l’Europe se soit davantage développée que d’autres régions du monde, pourtant un temps plus avancées, comme l’était justement la Chine d’ailleurs.
Malgré les intérêts conjoints de la Chine et du Saint-Siège à trouver un accord, les oppositions sont fortes. Il y a aussi une méfiance réciproque. Le pouvoir chinois se méfie des religions, et l’on voit que certains dirigeants de rang intermédiaire continuent à persécuter l’Église en Chine, peut-être autant par conviction que dans le but, comme Fouché et Talleyrand en leur temps, que le Saint-Siège rompe l’accord. D’un autre côté, certains catholiques se méfient du pouvoir chinois. On aimerait leur dire qu’ils ont tort. Malheureusement, les dernières décisions des autorités chinoises semblent pour l’instant leur donner en partie raison.
Le prix de la confiance réciproque
Les relations entre le Saint-Siège et la Chine ne pourront se normaliser que si une certaine confiance réciproque s’instaure. Pour l’instant, le Saint-Siège a observé sa part de l’accord avec loyauté. Au gouvernement chinois de démontrer que les récentes infractions à l’accord [exemples ?] ne sont dues qu’à des initiatives individuelles de fonctionnaires intermédiaires qui n’ont pas compris qu’ils déshonoraient leur pays aux yeux du monde en donnant l’impression que leur gouvernement ne tenait pas sa parole. Le traité entre le gouvernement chinois et le Saint-Siège est en effet scruté par nombre de nations.
S’il serait indigne de la Chine de ne pas respecter sa parole, ce serait en outre contraire au droit international. Les conventions doivent être respectées. C’est là le fondement de tout l’édifice juridique international. De sa capacité à honorer sa part du traité conclu avec le Saint-Siège, on déduira la sincérité du gouvernement chinois dans son soutien à un monde multipolaire (cf. le Quotidien du peuple, 9/9/2022). Un monde multipolaire suppose en effet nécessairement de respecter tous les partenaires internationaux, quelle que soit leur taille. On en déduira également la valeur que le gouvernement chinois accorde à sa propre parole. Tels sont les enjeux, pour la Chine, de l’accord avec le Saint-Siège. Sera-t-il dit que les dirigeants chinois se montreront moins fins politiques que Bonaparte en son temps ?