Rendre à Dieu ce qui lui est dû
En régime chrétien, cette vertu sera sous la mouvance de la foi : saint Thomas n’oppose pas religion et foi. Pas de foi sans culte, sans religion intérieure et cultuelle. Or l’homme doit à Dieu un culte, un hommage, personnellement et collectivement. C’est pourquoi la vertu morale de religion est une partie de la vertu de justice. Elle consiste à rendre à Dieu ce que l’homme lui doit, mais comme ce n’est pas possible de lui rendre son dû à égalité, la dette sera acquittée par mode de vénération, de dévotion et d’adoration. Par la vertu de religion l’homme vénère par des actes la majesté de Celui qui est au principe de son existence. L’homme lui est en effet redevable et doit lui rendre intérieurement (volontairement) et extérieurement tout ce qu’il peut. On dira que l’homme doit s’acquitter librement de sa dette envers Dieu ; en ce sens la vertu de religion est l’effort d’ajustement de la créature envers son créateur par l’hommage empressé dans le culte. Il le fera en commun avec d’autres.
La vertu du culte
L’objet direct de la vertu de religion, sa "matière", est constitué par le culte et les actes du culte, et sa "fin", c’est Dieu. Ce culte est ordonné à la vie théologale. La vertu de religion est donc la vertu du culte, de l’hommage cultuel à Dieu. Ce culte est spirituel et sensible. Ses actes intérieurs sont : dans la volonté, la dévotion, et dans l’intelligence, la prière. La dévotion est première, fondamentale, et, en régime chrétien, elle est animée par l’amour. Les actes extérieurs significatifs de la religion intérieure sont ceux qui réclament la participation du corps, c’est l’adoration ou le prosternement, les gestes sensibles du culte, par des choses extérieures qui relèvent du sacré comme les objets cultuels.
Par les actes du culte, Dieu se communique — par la grâce — à l’homme, moyennant la foi théologale.
Puisque l’homme se tourne vers Dieu dans le culte, on parle de la dimension ascendante de la religion, à laquelle répond en retour, Dieu révéré et honoré. On dira même que par les actes du culte, Dieu se communique — par la grâce — à l’homme, moyennant la foi théologale. Ici le théologal subordonne le moral, l'exhausse, le purifie et le guide. La religion est ainsi relative à la grâce qui vient de Dieu. C’est ainsi que la religion exprime la foi, que les actes cultuels et sacrés sont au service de la sainteté.
Les péchés contre la vertu de religion
On dira que selon la ligne ascendante du culte, il y a premièrement l’offrande sous la forme de l’oblation et du sacrifice — offrir à Dieu ce qui lui plaît — puis la promesse et le vœu, par exemple les vœux de religion. Selon la ligne descendante qui est participation au bien divin, il y a d’abord les sacrements, dont le principal est la communion à la victime du sacrifice dans l’eucharistie, et ensuite l’invocation du nom divin par manière, soit de serment (appel au témoignage de Dieu pour garantir une promesse), soit d’adjuration pour renforcer une demande ou un ordre, soit de louange divine qui est invocation du nom de Dieu dans la prière individuelle (qui n’est pas nécessairement vocale) comme dans la prière communautaire (nécessairement vocale). Les deux péchés contre la vertu de religion sont par excès, la superstition qui consiste à mal honorer Dieu ; par défaut, l’irréligiosité qui prend la forme soit de la tentation de Dieu ou du parjure, soit de l’irrévérence des choses saintes qui peut aller jusqu’à la profanation : c’est le sacrilège. Saint Thomas y ajoute la simonie qui est la volonté consciente de vendre ou d’acquérir à prix d’argent un bien spirituel.
La religion comme vertu est riche de sens, elle renvoie à ce qu’il y a de plus profond dans l’homme. Une société areligieuse et sécularisée est une société spirituellement malade, amputée d’une dimension fondamentale de l’homme. Cette vertu oubliée n’est donc pas si latérale qu’on pourrait le penser, ou dangereuse comme disent d’autres, qui ne voient en elle que ses perversions et ses contrefaçons.