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On entend ces temps-ci, et jusque dans l’Église, bien des remises en cause et de revendications dans le domaine du sexe. Il y a le féminisme, la théorie du genre, la banalisation, voire la légitimation de comportements autrefois jugés hors des normes publiquement acceptables bien qu’ils aient toujours existé… Or, du moins dans nos pays "riches" et développés, les discours qui se veulent libérateurs des mœurs ne suscitent guère d’objections ouvertes ni de résistances argumentées et tendent même à les réprimer. Mais quand tout recul dubitatif est pratiquement tabou, peut-on parler de progrès ? Précisons que s’interroger n’est évidemment pas du tout s’enfermer dans des certitudes censées immuables.
Une particularité occidentale contestée
Une première remarque à risquer est que l’inversion de l’interdit, ce qui est proscrit n’est par exemple plus l’homosexualité mais l’homophobie, est encore loin d’aller partout de soi. On est alors en droit de se demander si cette nouvelle bien-pensance ne serait pas un aspect de l’universalisme occidental qui a cru n’avoir plus de rival à la fin du XXe siècle après l’effondrement du bloc soviétique et l’engagement de la Chine communiste dans la croissance économique, mais est aujourd’hui battu en brèche dans le reste de la planète.
L’islam a été le premier à contester, paroxystiquement à travers le djihadisme au tout début du XXIe siècle, la permissivité morale qui paraît inséparable du libéralisme consumériste et politique. La Russie a depuis déclaré tout cela décadent. Les deux pays les plus peuplés au monde, l’Inde et la Chine, ont certes décriminalisé et dépathologisé les relations entre adultes consentants, mais il n’y est pas question d’instituer la parité entre hommes et femmes, ni le mariage entre personnes de même sexe. La cause LGBTQ+ n’est manifestement pas populaire en Afrique, sauf en République Sud-Africaine, et elle n’est guère accueillie dans le judaïsme.
Indifférenciation et équivalence
Les partisans de l’abolition de toute discrimination d’ordre sexuel font valoir que les civilisations traditionnelles étaient tolérantes et que c’est le colonialisme inspiré par le judéo-christianisme qui a imposé comme modèle exclusif l’union entre deux individus de genres différents et la domination du mâle dans le couple et dans la société. Mais cette structuration se retrouve dans d’autres cultures et elle n’est pas propre à la Bible et à l’Évangile, qui ont au contraire fait de l’épouse, en rendant son consentement indispensable, l’égale du mari. Si bien que l’on peut se demander si les campagnes actuelles d’indifférenciation et d’équivalence entre les "orientations" ne constituent pas une forme analogue bien que symétrique de l’impérialisme par ailleurs dénoncé et renié.
En passant à un registre plus théorique, il est permis de se poser une autre question, liée à ce que signifie la liberté. Il est clair que le dessein de faire accepter l’expression d’identités jusque-là réprimées répond à l’exigence de respect des personnes et de leur autonomie. Reste seulement à déterminer dans quelle mesure chacun est indépendant. Car il est non moins clair que les choix sont toujours circonstanciés et n’échappent pas entièrement aux conditionnements, que ceux-ci encouragent ou freinent. À quoi s’ajoutent les phénomènes bien connus d’accoutumance et d’addiction, qui aboutissent à des conformismes passifs.
La dialectique du naturel et du culturel
En d’autres termes, dans la sexualité, il y a assurément de l’inné, mais il y a aussi de l’acquis. Le problème est alors l’influence qu’exerce la moralité qui prévaut dans les lieux et au moment où se prennent des décisions qui, qu’on le veuille ou non, façonnent l’histoire de l’individu, spécialement à l’époque de l’adolescence, lorsque la personnalité se construit. Si l’éducation par "l’air du temps" (plus qu’à l’école ou dans la famille) enseigne que toutes les options se valent et qu’on peut toutes les essayer pour découvrir la meilleure, si tant est qu’on en préfère finalement une, la liberté ne s’en trouve-t-elle pas démunie face non seulement aux tentations, mais encore aux tentateurs et autres séducteurs (ou séductrices, y compris involontaires puisque non moins manipulables) ?
La singularité à respecter de chaque situation ne tend-elle pas alors à refouler la reconnaissance explicite d’un modèle référentiel assurant la cohésion de la collectivité et sa continuité dans la durée ?
Un autre questionnement est soulevé par l’ambition — sans doute généreuse en soi — d’adapter les normes communes à des attitudes et conduites particulières afin de garantir leur intégration socio-culturelle. Or la réalité bien plus massive des couples de sexes différents, d’ordinaire stabilisés (quoique de moins en moins infailliblement) par des enfants, s’en trouve brouillée. Il n’y a bientôt quasiment plus que des cas uniques et provisoires. La singularité à respecter de chaque situation ne tend-elle pas alors à refouler la reconnaissance explicite d’un modèle référentiel assurant la cohésion de la collectivité et sa continuité dans la durée ?
Le triomphe de l’individualisme
Ce privilège octroyé à la diversité fluctuante est bien sûr une retombée de l’individualisme promu par les avancées technico-économiques qui facilitent l’indépendance en donnant d’échapper à bien des contraintes matérielles et physiques. Il est logiquement conforté par le rejet du "binarisme", c’est-à-dire la détermination du genre d’une personne à sa naissance, d’après les caractéristiques biologiques constatées, avec deux possibilités seulement : masculin ou féminin. La théorie qui fait fureur est que l’identité sexuée est ainsi abusivement "assignée", alors qu’elle se construit dans une intimité inviolable, à travers les relations avec d’autres et l’acceptation ou le refus des stéréotypes du milieu, et peut ne pas se fixer.
Ceci n’est certainement pas totalement faux. Comme rappelé plus haut, le "naturel" et le "culturel" sont inséparables. Ce n’est pas non plus nouveau, d’ailleurs : Simone de Beauvoir écrivait dès 1949 qu’"on ne naît pas femme, on le devient". On peut en dire autant pour un homme. Il n’empêche que, sans difficulté majeure dans la très nette majorité des cas, même s’il y a des ambivalences, des exceptions et des changements, la physiologie pousse à l’endossement des rôles traditionnels qui, à l’évidence, ne sont pas purement arbitraires. Le défi est dès lors de sonder la profondeur de la différenciation sexuée, avec ses ambiguïtés.
« Liberté, égalité, fraternité »
C’est ici que la Révélation chrétienne ouvre des perspectives inépuisables. On peut relever que ce n’est pas en vue de la reproduction que Dieu donne Ève à Adam et la tire même de lui, mais afin qu’ils soient, "à son image", des êtres égaux mais distincts, en relation entre eux et avec lui. Car ce n’est pas à la façon du mâle qui, pour être tel, a besoin d’une femelle que lui-même est masculin, mais en tant qu’unique qui, loin de s’isoler, est Père du Fils qu’il engendre éternellement. Et ce Fils est lui aussi masculin puisqu’il est envoyé littéralement épouser l’humanité afin de restaurer sa ressemblance avec Dieu qu’elle a perdu de vue, ce qui a eu pour conséquence que les rapports des humains entre eux, y compris entre l’homme et la femme, sont constamment exposés au risque des méprises, rivalités et destructions mutuelles.
En descendant jusqu’au plus bas de la condition de celles et ceux qu’il s’unit pourvu seulement qu’ils le rejoignent librement, le Fils fait d’eux des égaux, ses frères et sœurs, les enfants que son Père adopte. Il s’ensuit que l’humanité entière se trouve, vis-à-vis de Dieu, dans une situation à la fois féminine et filiale. N’y a-t-il pas là de quoi repenser assez radicalement et ouvrir ce que signifient la masculinité et la féminité, et même méditer la portée insoupçonnée de la devise républicaine : "Liberté, égalité, fraternité" ?