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Saints et hérétiques, au tribunal de l’opinion

papież Jan Paweł II w Kalwarii Zebrzydowskiej podczas pierwszej pielgrzymki do Polski w roku 1979
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Jean Duchesne - publié le 25/04/23
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Alors que la rumeur s’en prend aux individus pour discréditer ce qu’ils représentent, l’Église ne réprouve que des théories. L’essayiste Jean Duchesne explique pourquoi elle peut honorer les personnes mais pas les condamner.

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L’actualité fournit régulièrement des incitations à porter des jugements sur des célébrités, particulièrement à l’occasion de leur décès : une vie terminée incite à en dresser un bilan qui ne sera plus modifié que par d’éventuelles découvertes. De façon générale — il faut le reconnaître dans un système médiatique dont pourtant l’agressivité est le principal ressort —, ces chroniques nécrologiques sont loin d’être entièrement négatives, même si le défunt a eu pas mal de détracteurs. Comme l’a chanté Georges Brassens, "les morts sont tous des braves types". Tout n’est cependant peut-être pas aussi simple.

Des critères qui se renouvellent

Ainsi, la disparition de Mgr Jacques Gaillot n’a donné nulle envie de réitérer les reproches qu’avaient pu autrefois lui attirer certaines de ses prises de position. Néanmoins, même les louanges les plus nostalgiques ont été (aussi marginalement qu’honnêtement) nuancées par le rappel qu’il a reconnu comme une erreur d’avoir accueilli dans son diocèse un prêtre canadien dont il savait qu’il avait été condamné pour pédophilie et qui a récidivé. 

C’est un indice que nul n’est parfait, mais également que les motifs de réprobation et d’indignation collective se renouvellent. Dans un passé pas si lointain, le blasphème — quasiment tenu de nos jours pour un droit — était cruellement puni, tandis que les abus sexuels — sans nul doute moins rares, mais heureusement dénoncés aujourd’hui, depuis que la parole des victimes est entendue — ne l’étaient (non moins atrocement) que de façon exceptionnelle, si le scandale était public : les dernières exécutions judiciaires ont eu lieu en France pour sodomie en 1750 et pour sacrilège (le chevalier de la Barre) en 1766.

Anachronismes révisionnistes

Dans son discours à la citadelle de Québec en juillet dernier et déjà dans son allocution devant le corps diplomatique au Vatican en janvier 2022, le pape François a critiqué les jugements anachroniques, consistant à condamner des personnages historiques, quels que soient par ailleurs leurs mérites, pour des actes ou comportements qui paraissent à présent répréhensibles, voire inhumains, mais n’ont pas choqué grand monde à l’époque. À ce compte-là, ne faudrait-il pas exiger des réparations de l’Italie pour ce que Jules César a fait subir à Vercingétorix et pour la colonisation du peuple gaulois ?

L’Église n’est bien entendu pas épargnée par ce révisionnisme. On n’ose pas encore déplorer par exemple qu’à Noël 498, saint Rémi ait baptisé en même temps que Clovis plusieurs milliers de ses guerriers sans prendre soin de recueillir le consentement informé de chacun d’eux. On n’a en revanche pas hésité récemment à insinuer qu’en tant qu’archevêque de Cracovie, le futur saint Jean Paul II n’avait sévi pas comme il eût fallu contre des clercs prédateurs sexuels, minimisait leurs crimes et était indifférent aux souffrances des victimes.

Jean Paul II et Mgr Gaillot

Il a sans doute été au courant de ces "affaires". S’il ne les a pas gérées comme on le ferait maintenant, c’est bien sûr pour une part parce qu’en ce temps-là, on était bien moins sensibilisé à ce genre d’abus. Et cela ne doit pas nuire davantage à sa réputation qu’à celle de Mgr Gaillot, qui a admis n’avoir pas été moins négligent. Mais si l’archevêque de Cracovie n’a pas livré les fautifs à la justice civile, c’est à l’évidence aussi et surtout parce qu’alors en Pologne, face à un régime acharné à sa perte, l’Église était nettement plus sur la défensive qu’en France, où l’évêque d’Évreux pouvait répondre aux amicales sollicitations d’incroyants. De fait, ce qui sert aujourd’hui pour incriminer le cardinal Wojtyła vient essentiellement des archives des services secrets communistes. 

Les investigations journalistiques mentionnent un petit nombre de témoignages qui restent anonymes, parce que les victimes auraient, paraît-il, toujours peur. Mais de qui ou de quoi ? L’anticléricalisme est florissant en Pologne (voir le succès du film Kler qui, en 2018, étalait des turpitudes ecclésiastiques). Enfin, les enquêteurs se plaignent de n’avoir pas eu accès aux archives du diocèse de Cracovie. Mais que s’y trouverait-il qu’ils n’aient déjà exploité ?

Quand l’image se passe d’original

De telles mises en cause n’ont d’ailleurs pas besoin de preuves. Les insinuations suffisent. Qu’elles soient reprises et se répandent crée un fait qui devient inesquivable et se passe de vérification. La réalité de la rumeur se substitue à celle de ce qu’elle colporte. L’image existe sans original. Un exemple tout récent et particulièrement grotesque en est l’allégation que le pape polonais s’échappait nuitamment du Vatican pour courir le guilledou dans Rome.

L’intéressant est ce qui motive la divulgation et la propagation de démolitions de ce type, qui s’imposent dans l’opinion et peuvent être contestées, mais pas ignorées. On peut détecter des préventions plus profondes, qui trouvent là des prétextes à se répandre subrepticement, en isolant ce qui sera présenté comme une faiblesse ou une contradiction dans l’itinéraire d’une personnalité gênante. Ainsi, saint Jean Paul II est une cible parce que jugé "conservateur". Il ne serait guère "payant" d’argumenter contre un penseur de cette trempe, ou de nier la dynamique qu’il a impulsée dans l’Église, en Europe et dans le monde. On s’efforce donc de le déconsidérer sur un point qui n’a pas été central dans son histoire, mais l’est devenu.

Trois saints pas parfaits et trois hérétiques stimulants

Qu’il ait été canonisé n’implique nullement qu’il ait été infaillible. La sainteté reconnue par l’Église constitue d’ailleurs un verdict toujours éclairant et qui peut être tenu pour à la fois plus sûr et moins contraignant que celui du tribunal de l’opinion manipulable. En s’en tenant à des temps suffisamment anciens pour que les polémiques se soient essoufflées, et en puisant du côté aussi bien de l’Occident romain que de l’Orient byzantin, on peut citer trois saints qui ont professé des opinions désormais réprouvées, puis trois auteurs qui n’ont jamais été seulement béatifiés, mais dont les œuvres demeurent précieuses.

Justin de Naplouse (IIe siècle), Jean Chrysostome et le grand Augustin (autour de 400) ont été dûment canonisés. Mais ils ont pu, à des degrés divers et chacun à sa manière, être taxés d’antijudaïsme. Inversement, Tertullien, Origène et Eusèbe de Césarée (IIIe-IVe siècles) n’ont pas été déclarés saints, en raison d’hérésies aujourd’hui oubliées : montanisme dans le cas du premier, apocatastase et subordinatianisme (entre autres) chez le second et arianisme pour ce qui est du troisième. Il n’empêche qu’ils restent les pionniers toujours étudiés et édifiants de l’apologétique latine, de l’exégèse biblique et de l’histoire ecclésiastique respectivement.

Réprouver les idées et honorer les personnes

L’Église a toujours eu le devoir d’anathématiser les théories qui dénaturent ce qu’elle a mission de transmettre, mais pas le droit de condamner ceux qui professent ces déviations. "Ne jugez pas, sous peine d’être vous-mêmes condamnés" (Lc 6, 37). Il faut avouer que cette distinction a été trop souvent brouillée. En contrepartie, la hiérarchie a reçu le pouvoir constructif d’honorer d’exemplaires héros de la foi — pas tous des théologiens ! —, sans pour autant jeter du tout l’opprobre sur ceux qui ont pu les persécuter. C’est ce qui s’est passé ce 22 avril quand ont été béatifiés cinq prêtres pris en otage et exécutés en 1871.

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