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Sables-d’Olonne : “Cachez ce saint (Michel) que je ne saurais voir”

Statue de saint Michel aux Sables-d’Olonne (Vendée)

Statue de saint Michel aux Sables-d’Olonne (Vendée).

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Jean Duchesne - publié le 18/04/23
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C’est au prix d’assez jolies incohérences que saint Michel est censuré aux Sables-d’Olonne. Pour l’essayiste Jean Duchesne, nous sommes devant une instrumentalisation du droit.

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Une décision du Conseil d’État en date du 7 avril 2023 vient de confirmer en dernière instance celles du tribunal administratif puis de la Cour d’appel de Nantes : la statue de saint Michel placée depuis 2018 devant l’église sous le patronage du même archange aux Sables-d’Olonne en Vendée doit être retirée. La fédération locale de la Libre Pensée avait poursuivi la municipalité pour enfreinte à l’article 28 de la loi de 1905, qui interdit l’installation de signes et emblèmes religieux dans l’espace public. Il est permis de s’interroger sur cette censure.

Un ange illégal ?

La première question est de savoir si, comme les juges l’ont estimé, la représentation de ce personnage non humain, nommément mentionné mais non central dans la Bible, l’Évangile et jusque dans le Coran, donc commun au judaïsme, au christianisme et à l’islam, honoré dans plusieurs cultures et civilisations, constitue une publicité pour une religion particulière. Car en tant que figure protectrice, il appartient à des traditions assez diverses et anciennes pour s’inscrire dans un imaginaire populaire immémorial, sans qu’aucun "culte" en ait l’exclusivité ni puisse être soupçonné de chercher à travers lui à s’imposer à tous.

Le fait indéniable est néanmoins que cette effigie a été considérée comme inadmissible parce que "confessionnelle" par un groupe de pression qui tient apparemment à ce que toute extériorisation de religiosité soit strictement cantonnée dans la sphère du privé et invoque à cet effet la loi de séparation. L’ennui est qu’on ne peut pas ôter des musées tout ce qui, jusqu’aux temps modernes, est très majoritairement chrétien, ni éliminer du paysage toutes les églises, croix, noms et figures de saints. Tout cela fait partie du patrimoine national dont nul ne conteste qu’il revient à l’État laïc de le sauvegarder, de l’entretenir et même de le mettre en valeur. C’est néanmoins un héritage du passé et toute nouvelle édification ou exposition illustrant une foi religieuse est depuis 1905 exclue dans des lieux fréquentés par tous.

Libertés de conscience et d’expression

Cependant, la même loi qui privatise les Églises et organisations assimilées garantit explicitement en même temps la liberté de conscience de tous — et pas seulement des athées —, et elle ne proscrit a priori nullement la manifestation de croyances en dehors des bâtiments affectés au culte ou construits aux frais des fidèles. La seule réserve est le respect de l’ordre public et l’accord des autorités chargées d’y veiller. La difficulté devient dès lors de déterminer dans quelle mesure un symbole quelconque destiné à rappeler des convictions de foi peut constituer une source de troubles dans la vie sociale.

S’il n’y a pas de risque de violences, la pierre d’achoppement se situe au niveau de sensibilités et de rapports de force où le droit est instrumentalisé.

S’il n’y a pas de risque de violences, la pierre d’achoppement se situe au niveau de sensibilités et de rapports de force où le droit est instrumentalisé. En l’occurrence, un certain anticléricalisme recourt aux tribunaux pour restreindre la liberté d’expression d’opinions qu’il déclare incompatibles avec les siennes mais qui, en elles-mêmes, n’ont rien d’illégal. Ainsi, en quoi une statue d’archange devant une église qui lui est dédiée serait-elle dangereuse, tandis que l’obligation de l’abattre serait inoffensive et que le message qu’elle porte n’est pas plus agressif que celui du même personnage doré tout au sommet du célèbre mont à son nom ? On a donc ici une minorité active qui réprime un point de vue différent du sien.

Affronter la "christianophobie"

Les catholiques auraient sans doute tort de s’en étonner. Ils devraient se rappeler que le Christ leur a annoncé qu’ils seraient incompris et persécutés comme lui-même l’a été (Jn 15, 20) et qu’une vie sur terre sans rivalités, conflits, souffrances ni angoisses est ce que promet et promeut le Grand Inquisiteur de Dostoïevski, au prix modeste et attractif d’une aliénation anesthésiante. Ils pourraient aussi se souvenir que la foi n’a pas toujours immunisé contre les tentations de domination et d’exclusion, et que le laïcisme rabide est en symétrie mimétique par rapport à un hégémonisme clérical ou "dévot", ressenti comme coercitif.

Le défi est ici de décider jusqu’à quel point il convient d’affronter la "christianophobie" avec ses propres armes — judiciaires et politiques. C’est un terrain à ne pas mépriser, même si les victoires n’y sont pas plus décisives que les défaites. La municipalité des Sables-d’Olonne a résisté avec un référendum où l’on a voté à près de 95% pour le maintien du Saint-Michel, mais environ 11% seulement des électeurs inscrits y ont participé. Il est probablement plus fructueux sur le long terme de faire ressortir qu’en ce domaine aussi, foi et raison critique font bon ménage et que les lois et leur interprétation sont plus approximatives qu’on imagine. 

L’archange et le Pape

Il convient de relever que cette affaire de statue n’est pas isolée. On peut la rapprocher de celle du Jean Paul II de Ploërmel dans le Morbihan entre 2008 et 2018. Là déjà, d’aucuns ont crié au viol de la laïcité, poursuivant la municipalité en justice, et le contentieux est allé jusqu’au Conseil d’État. Il est à noter que les tribunaux n’ont pas contesté cet hommage à un pape récent. On ne peut pourtant pas dire qu’il est moins "marqué catholique" que le chef des milices célestes. Une œuvre identique de l’artiste russe d’origine géorgienne Zourab Tsereteli a d’ailleurs été installée en 2014 à Paris, sans polémiques, en présence de la maire socialiste, dans le square honorant un autre pape (Jean XXIII) sur le côté sud de Notre-Dame.

Le problème était seulement qu’en Bretagne, l’effigie du pape décédé en 2005, béatifié en 2011 par Benoît XVI et canonisé en 2014 par François, se dresse sous un arc surmonté d’une croix. C’est celle-ci qui a servi de prétexte pour contraindre à déplacer ce Jean Paul II en bronze, de la voie publique à un terrain tout proche d’un collège catholique, où il reste visible de tous tandis qu’on ne peut rien y redire, puisque c’est sur une propriété privée. Peut-être une solution du même genre pourrait-elle relativiser les dissentiments aux Sables d’Olonne ?

Quand l’anticléricalisme rejoint la cancel culture 

Mais il faut bien reconnaître boiteuse la rationalité capable de s’acharner contre un signe religieux pourvu qu’il ait été érigé après 1905, mais pas de s’indigner contre la statufication publique d’un pape mort cent ans plus tard et qu’elle a jugé à la fois "conservateur" et moins offensant qu’un ange dont le culte est ancré dans la tradition populaire. Des incohérences et difficultés semblables avec l’histoire transparaissent ailleurs que chez nous, dans la cancel culture anglo-saxonne où l’on déboulonne en série des statues de personnages aujourd’hui décrétés coupables de racisme et de colonialisme, tout philanthropiques ou héroïques qu’ils aient été aux yeux de leurs contemporains et des générations suivantes jusqu’à la nôtre.

Or ces accusations fondées sur des anachronismes rendent impossible tout nouveau progrès moral. C’est ce qu’a laissé entendre le "pèlerinage pénitentiel" du pape François au Canada en juillet dernier. Il y a demandé pardon aux autochtones autrefois maltraités par des clercs, manifestant ainsi une conscience désormais plus aiguë des exigences évangéliques. Mais il a aussi tenu à dénoncer dans son discours à la citadelle de Québec la mentalité woke, qu’il qualifie de néo-colonialiste et qui consiste à imposer une uniformité basée sur les besoins immédiats de certains individus qui intimident tous les autres. C’est justement ce qui advient quand on fait la chasse aux statues et ce contre quoi mettent en garde les grandes dystopies, depuis l’Inquisiteur de Dostoïveski (1880) jusqu’au 1984 de George Orwell (1949), en passant par Le Maître de la Terre de R.H. Benson (1907), tant apprécié par le pape actuel.  

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