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Rome, au XIVe siècle, n’est pas un endroit paisible ; crimes et émeutes y sont fréquents et nul, pas même le Pape et les cardinaux n’y sont en sécurité, raison pour laquelle ils finiront par s’installer en Avignon, sous la protection du roi de France.
Cette question du retour du souverain pontife dans la ville intéresse toute la catholicité et certains, à commencer par l’ordre dominicain, font de cette cause l’une de leurs préoccupations majeures, comptant sur l’influence spirituelle de quelques grandes figures mystiques capables, car mandatées par Dieu, d’en imposer à la papauté.
Elle aurait préféré le couvent
Parmi ces inspirés du Ciel, et avant Catherine de Sienne, qui lui succèdera dans cette mission, figure une très grande dame, apparentée à la famille royale de Suède, Brigitte. Contre ses aspirations personnelles, qui la poussent vers le cloître, Brigitte a été mariée à treize ans au seigneur gouverneur du Gotland, le prince Ulpho de Néricie, et huit enfants sont nés de leur union, quatre garçons et quatre filles.
L’une d’elles, Ingeborg, est entrée en religion, mais ses trois sœurs ont été mariées dès qu’elles en ont eu l’âge. Si les deux aînées semblent heureuses de leur sort et tiennent leur rang à la cour, la troisième, Catherine, aurait préféré le couvent. Pourtant, sa très pieuse mère est allée contre ce choix, par obéissance envers son époux et sans doute au nom de considérations politiques rendant cette union nécessaire… Catherine n’a pas eu le choix ; elle a épousé le noble Edgar que son père et le roi lui destinent.
L’adolescent est-il plus satisfait qu’elle de cette union imposée ? Peut-être pas puisque, à en croire ses hagiographes, Catherine, le soir de ses noces, aurait convaincu son jeune époux de ne pas la toucher, respectant son vœu de virginité, et de vivre avec elle un mariage blanc. Edgar a d’autant plus de mérite à accepter cet arrangement que sa jeune femme est remarquablement belle, malgré tout le mal qu’elle se donne pour s’enlaidir et s’habiller en pauvresse.
En 1344, Ulpho meurt, laissant Brigitte veuve, riche et libre de ses mouvements ; libre, surtout, d’obéir aux injonctions du Ciel qui lui demande de se rendre à Rome. Pour ce long voyage, elle décide d’emmener Catherine avec elle, Edgar n’y trouve rien à redire.
Le recours à l’enlèvement
Reste qu’emmener cette jeune femme d’une vingtaine d’années, aux yeux bleus et aux cheveux de lin, d’une beauté nordique foudroyante, dans cette Rome de tous les dangers est d’une rare imprudence. Brigitte considère-t-elle que les saints liens du mariage et leur parenté avec la famille royale suédoise suffisent à les protéger ?
En ce cas, elle se trompe : la très haute naissance de sa fille, la fortune qui l’accompagne alliées à tant de charme vont susciter la convoitise de l’aristocratie romaine dès que Catherine se sera montrée en public. Sa seule sauvegarde est son statut d’épouse mais voilà que, peu après leur installation, la nouvelle de la mort d’Edgar les rejoint. Catherine est veuve, donc susceptible de se remarier, et les offres ne vont pas manquer. Fidèle à son vœu de chasteté, elle les décline toutes, au grand dam des prétendants…
Depuis l’Antiquité, l’usage est bien ancré dans les mœurs romaines, ailleurs aussi au demeurant ; un prétendant évincé possède un dernier recours, déplaisant, brutal, mais efficace : l’enlèvement de la femme convoitée. Ce rapt étant en général suivi d’un viol, la famille de la victime n’a plus d’autre choix que consentir au mariage avec le ravisseur puisque, de toute façon, aucun parti ne se présentera plus après un tel scandale. Voilà sur quoi comptent les seigneurs romains et italiens qui se sont mis sur les rangs pour obtenir la main de la sublime Suédoise.
Sauvée par un cerf
Ignorant ces pratiques, Brigitte ne s’alarme pas pour sa fille et la laisse, accompagnée de dames de compagnie et de servantes, se promener dans Rome à sa guise pour ses dévotions. Un matin que Catherine se rend à la basilique Saint-Sébastien hors-les-murs, un seigneur romain l’enlève.
La situation semble désespérée quand, soudain, dans ce quartier excentré, campagnard encore, un cerf surgit des buissons ; le suborneur, passionné de chasse, en oublie la proie qu’il vient de ravir et, prenant le change, se lance à la poursuite de ce nouveau gibier, oubliant la jeune femme au bord du chemin. Bien entendu, Catherine en profite pour s’enfuir et rentrer chez sa mère. En apprenant l’incident, Brigitte s’écrie : "Béni soit, mon enfant, ce cerf dont le Ciel s’est servi pour vous délivrer de cet affreux péril !"
Notre chasseur n’a pas, cependant, renoncé à la biche qu’il a si maladroitement courue. À quelques jours de là, Catherine, flanquée de sa mère cette fois, se rend selon l’usage pieux de faire le tour des basiliques durant la Semaine Sainte, à Saint-Laurent hors-les-murs, quartier tout aussi désert que le précédent. Cette fois, nul gibier ne surgit pour distraire le ravisseur qui se saisit de la jeune femme lorsque, soudain, il s’écroule, hurlant de panique : il vient de perdre la vue, et ne la recouvre que lorsque Brigitte et Catherine daignent prier Dieu de lui pardonner et lui rendre un sens dont il a mésusé. Elles sont exaucées. La leçon a-t-elle portée ? À Rome oui, où l’histoire s’est répandue, mais pas à l’extérieur.
Frappés de cécité
Alors que mère et fille se rendent en pèlerinage à Assise, un autre seigneur tente de s’emparer de Catherine dans l’auberge où elles passent la nuit. Il s’est fait entourer d’une troupe nombreuse de condottieri, personnages de sac et de corde, tantôt soldats tantôt brigands mais toujours infréquentables en raison de leur violence et leur cruauté.
À l’instant où ils tentent d’enfoncer la porte, une voix terrible retentit, venue de nulle part, accompagnée d’un grand fracas d’armes qui crie de courir sus à ces malandrins, s’en saisir et les pendre. Ils prennent la fuite. Le jour venu, honteux de leur panique et tancés par leur commanditaire, ces soudards tendent un guet-apens aux voyageuses mais sont à leur tour brusquement frappés de cécité et celles qu’ils cherchent passent sur la route devant eux sans qu’ils les voient…
Après cela, on finit par laisser la noble veuve scandinave tranquille. Catherine ne quittera pas sa mère jusqu’à son décès, en 1373, l’accompagnant dans ses pérégrinations. À la mort de Brigitte, elle rentrera en Suède fonder un couvent selon la règle écrite par la défunte, puis repartira pour Rome afin de témoigner au procès de canonisation de sa mère. Au bout de cinq années, elle regagnera son monastère de Watzen où elle mourra le 24 avril 1381. On dit qu’une étoile surnaturellement apparue a brillé sur son cercueil jusqu’à sa mise en terre.