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Qui n’a jamais entendu, ni même fredonné, la célèbre chanson Hallelujah, reprise par d’innombrables interprètes, mais dont l’auteur est le juif canadien Léonard Cohen ? Sortie en 1984, Hallelujah adapte en quelques couplets un poème original d’une centaine de strophes, dans lequel Cohen brasse mysticisme et érotisme, références bibliques à David et Bethsabée et réminiscences personnelles.
La même année, ce petit-fils de deux rabbins, issu de la tribu des prêtres, renoue fortement avec un judaïsme qu’il n’a jamais renié. À cette occasion, il publie un étonnant livre de méditations religieuses, The Book of Mercy, duquel est extraite une étonnante prière que nous allons brièvement introduire.
Un chanteur religieux ?
C’est en 1968 que le premier disque de Léonard Cohen, jusqu’alors connu comme poète et romancier, fait le tour de la planète. Plusieurs chansons seront reprises (notamment en français par Graeme Allwright), contribuant à populariser un talent à bien des égards singulier. Dès la première chanson, Suzanne, le ton est donné et ne se démentira jamais : atmosphère solennelle et dépouillée, mélodie lancinante, voix déjà grave (qui ne cessera de baisser en tonalité par la suite) jouant du contraste avec un chœur féminin suave et délicat, paroles énigmatiques nourries de symbolisme. Dans cette psalmodie contemporaine, s’enchevêtrent l’attirance pour une femme étrange, Suzanne, et la fascination pour Jésus, qui occupe toute la deuxième strophe :
"Tu voudrais cheminer à ses côtés,
Et tu voudrais le suivre aveuglément
Car il a saisi ton corps parfait par son esprit…"
Léonard Cohen puise ses références non seulement dans l’Ancien Testament (Story or Isaac, 1969), dans la liturgie juive (Who by fire, 1974, qui reprend une litanie des morts chantée à la fête du Yom Kippour), mais aussi dans le Nouveau Testament. De fait, le chanteur témoigne d’une culture chrétienne profonde et sensible. Certes, son Christ n’est pas le fils de Dieu ressuscité d’entre les morts, mais plutôt le "perdant magnifique" agonisant sur la croix.
C’est cette figure de Christ blessé qu’on retrouve dans une admirable chanson, The Window (dont il faut écouter la version publique sur le disque Field commander Cohen, 1979).
Dans la dernière strophe, une mystérieuse ascension mystique nous fait passer de la vision d’un feu à celle du soleil, du soleil au Dieu très saint, puis du Dieu très saint à la parole éternelle qu’Il engendre. La chanson s’achève alors sur cette énigmatique louange : "Béni soit l’éternel bégaiement du Verbe devenu chair."
La figure de Jeanne
Ailleurs, c’est la figure de Jeanne d’Arc qui fascine le chanteur (Joan of Arc, album Léonard Cohen in concert, 1994). Cohen imagine la sainte dans un face-à-face mystique avec le feu qui doit la dévorer : d’un côté, la froide vierge dominée par sa mission, de l’autre, le brasier incandescent qui languit de s’unir à son contraire. Et le poète de livrer cette confidence face au mystère de Jeanne :
"J’entends ses cris et sa douleur
J’ai vu la gloire dans ses pleurs
Mais cet amour qu’en vain j’appelle
Doit-il venir si radieux et si cruel ?"
Solitude et bénédiction
Explorant la complexité des relations humaines, l’incommunication tapie au cœur de l’amour, les tourments du désir et l’angoisse du mal, psalmodiant à l’infini ce sentiment d’étrangeté au monde qui semble ne jamais le quitter (The Stranger song), Cohen est au fond un homme de la Bible : tour à tour Job ruminant sa souffrance, le psalmiste élevant son chant d’espérance, Qoéleth tenté par l’amertume, l’amoureux du Cantique émerveillé par sa bien-aimée. Il est ce nomade, enfin, qui sait que nous sommes "étrangers et pèlerins sur la terre" (1 P 2,11) et que seuls demeureront peut-être de notre passage les notes égarées d’une complainte, l’écho étouffé d’une prière :
"Si telle est ta volonté, qu’une voix parle vrai,
De cette montagne brisée, pour toi je chanterai,
De cette montagne brisée, toutes mes prières à la volée,
Si telle est ta volonté, de me laisser chanter."
(If it be your will, 1984)
"Oppressé par les figures de la beauté", l’univers esthétique et spirituel de Leonard Cohen trahit les assauts de la mélancolie et de la dépression. Cheminant sur des voies escarpées et solitaires, le chanteur confesse une foi vibrante, travaillée par le doute, bouleversée par le spectacle du malheur. Mais c’est au cœur de cette angoisse, qu’il a le courage de ne pas esquiver, que sourd et rayonne l’espérance. Dans l’une de ses plus belles chansons, Anthem (1992), un leitmotiv résonne qui récapitule toute son œuvre :
"Il y a une fêlure en toute chose,
Et c’est par elle que pénètre la lumière."
Une prière, tirée du Livre de la miséricorde (1984)
Et c’est pourquoi, dans la prière que nous donnons à lire, Léonard Cohen peut-il finalement louer son Seigneur pour lui avoir fait don de ce trésor précieux et douloureux : l’expérience de la solitude. Cette solitude radicale au cœur de laquelle aucune consolation terrestre ne peut faire illusion, c’est le "bouclier" que Dieu a donné à l’homme pour qu’il ne L’oublie pas. Car c’est au cœur de ce dépouillement que le croyant peut s’arracher aux idoles, et se retrouver lui-même en remontant à sa source, le Dieu d’amour et de miséricorde :
"Béni es-tu, toi qui as donné à chaque homme
un bouclier de solitude afin qu’il ne puisse t’oublier.
Tu es la vérité de la solitude et seul ton nom s’adresse à elle.
Fortifie ma solitude afin que je puisse être guéri en ton nom,
qui est au-delà de toutes consolations prononcées sur cette terre.
En ton nom seulement je puis tenir face au rythme effréné du temps,
seulement lorsque cette solitude t’appartient
je puis élever mes péchés jusqu’à ta miséricorde."