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L’événement de cette université du Kentucky a fasciné les catholiques français, mais il est quasiment passé inaperçu aux États-Unis où il a bénéficié d’une très faible couverture médiatique dans la presse catholique. Le phénomène des prières de masse spontanées, témoin d’un grand désir spirituel, revient régulièrement dans un pays où la liberté religieuse est sans complexe. On les appelle "revival", pour "réveil" ou "renouveau". Pour comprendre, Aleteia a interrogé une universitaire américaine convertie au catholicisme, qui connaît bien l’univers évangélique dans lequel a surgi cet élan de louange qui a semblé ne pas vouloir s’arrêter.
Aleteia : Vous avez grandi dans un milieu évangélique américain. Que voyez-vous de nouveau dans le phénomène du réveil d’Asbury ?
Lauren Butler : Je viens de cette même tradition par mon père, qui vient d’une grande famille protestante. Il a fait partie du mouvement évangélique dans les années soixante-dix et y a même travaillé comme pasteur auprès des jeunes. À l’époque, il y a eu quelque chose de similaire avec les Jesus People qui a marqué toute une génération. Adolescente, je fréquentais un groupe de prière évangélique où j’ai rencontré des pentecôtistes. Nous étions fascinés par ce genre de phénomène et faire partie d’un mouvement comme celui d’Asbury nous faisait rêver. Comme beaucoup de jeunes chrétiens, nous étions animés par un fort désir de prière contemplative et par la question "comment parvenir à connaître Jésus ?". Asbury fait écho aux "réveils" qui ont déjà eu lieu par le passé ; je pense au Great Awakening du XVIIIe siècle dans les colonies et auquel les protestants américains font encore référence aujourd’hui Mais les écrits spirituels qui provenaient de ces mouvements nous laissaient sur notre faim. Inévitablement — et au sein de notre propre mouvement — on nous proposait des auteurs catholiques ou orthodoxes pour aller plus loin dans la prière.
Je suis certaine que cet événement sera fécond, que des vocations vont naître au ministère, qu’il y aura des mariages et de nombreux autres fruits.
Ces jeunes protestants paraissent fortement attirés par un désir de prière contemplative. N’existe-t-il pas pourtant des lieux de recueillement qui proposent des temps réguliers de louange et de prière commune ?
Si bien sûr : de nombreux chrétiens américains se retrouvent habituellement tous les dimanches et aussi un jour dans la semaine pour le culte et la louange. C’est la prière perpétuelle qui n’existe quasiment pas dans le milieu protestant. Aux États-Unis, les lieux de culte protestant sont fermés à clé en dehors des offices, à moins qu’il n’y ait un "revival" en cours comme cela a été le cas pendant quinze jours à Asbury. Le seul endroit où l’on peut passer du temps en prière sans interruption est dans sa chambre… ou dans une église catholique. Il faut ajouter aussi que le mouvement évangélique, contrairement à l’Église anglicane, a perdu l’usage de la liturgie des heures.
Ce mouvement est magnifique, mais que va-t-il se passer après ?
Je suis certaine que cet événement sera fécond, que des vocations vont naître au ministère, qu’il y aura des mariages et de nombreux autres fruits. Dieu est si généreux. Aujourd’hui, je constate cependant que la plupart des amis évangéliques de ma jeunesse ne vont plus au culte, ce que confirment les chiffres de la pratique religieuse aux États-Unis. Ces jeunes approfondiront peut-être cette expérience de la présence de Dieu dans la louange toute leur vie. L’enjeu est bien de transformer cette expérience exceptionnelle en expérience renouvelée à chaque instant de sa vie.
Le renouveau, c’est d’abord la liturgie céleste dans sa maison et dans son cœur à la suite de Paul et de tous les saints.
Comment précisément renouveler cette expérience ?
Il faut bien prendre conscience que le "renouveau" chrétien a eu lieu il y a 2.000 ans ! Par le baptême, nous sommes devenus prêtres, prophètes et rois. Le renouveau, c’est d’abord la liturgie céleste dans sa maison et dans son cœur à la suite de Paul et de tous les saints. C’est aussi dans les monastères qui pratiquent une prière liturgique constante au cœur de l’Église, rejoints par de nombreux laïcs dans la pratique quotidienne de la liturgie des heures, et dans les paroisses avec la messe quotidienne et l’adoration eucharistique. Pour le monde évangélique, le défi est de se rapprocher du sens des sacrements.
En France, où cette expérience de la rencontre avec Dieu se fait de façon plutôt discrète, pour ne pas dire cachée, il y a une fascination pour cette jeunesse ardente qui spontanément, en masse, se met en prière dans un lieu très public, une université, de façon totalement nouvelle.
Oui, c’est vrai qu’en France, la pratique catholique a été complètement effacée de la vie publique. Quand j’enseignais l’histoire de la pensée dans une université catholique française, la messe quotidienne avait lieu en catimini : c’était un prêtre retraité qui la célébrait dans une chapelle souterraine ! S’il y a à nouveau des chemins de croix et des processions eucharistiques, dans l’accueil, la simplicité et le respect du voisinage, cela reste discret à l’échelle du pays. Nous n’avons pas ce souci aux États-Unis, n’ayant vécu ni les guerres de religion, ni la Révolution. L’exemple d’Asbury — une manifestation de prière spontanée qui attire des milliers de jeunes — paraît difficilement transposable en France, mais il faut noter que l’événement a eu lieu dans une université chrétienne. Derrière cette jeunesse évangélique américaine très fervente, il y a des parents qui ont beaucoup sacrifié et investi dans l’éducation de leurs enfants.
Aux États-Unis, les parents transmettent la foi en faisant l’école à la maison ou en les inscrivant dans des écoles chrétiennes qui sont l’équivalent du hors-contrat en France.
Si la vie des Églises n’est pas structurée en dehors du culte autour d’une vie chrétienne communautaire, comme se transmet la foi ?
Aux États-Unis, les parents transmettent la foi en faisant l’école à la maison ou en les inscrivant dans des écoles chrétiennes qui sont l’équivalent du hors-contrat en France. Ceci est déterminant aux États-Unis. En France, il y a quelque chose de similaire avec le scoutisme et certains mouvements comme le Mouvement eucharistique des jeunes. Si je cherche un équivalent français de ce qui s’est passé à Asbury, je pense aux pèlerinages des routiers scouts d’Europe à Vézelay ou celui des guides-aînées à Paray-le-Monial, qui n’ont rien de spontanés, mais qui sont tout aussi enthousiastes et généreux. Au-delà des mouvements de jeunes, je crois que l’Église de France devrait approfondir la place faite à l’éducation par les parents et par l’école catholique : pourquoi est-ce la norme de confier les enfants, dès leur plus jeune âge, à une école dont les programmes n’offrent pas une vision chrétienne du monde ? Je pense que c’est cela qui doit interroger les catholiques français : quelle place donnons-nous à l’éducation chrétienne de nos enfants ?