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Mortaza Behboudi est prisonnier. Sans doute ce nom n’évoque pas grand-chose pour nombre de nos concitoyens. Il est paradoxal que nous puissions citer chacun plusieurs noms de présentateurs "troncs" qui animent des plateaux de télévisions où l’on confond si facilement justice et vengeance, politique avec magouille et faits divers avec informations, et que nous ne connaissions pas ceux qui sont les vrais héros qui incarnent la quintessence de la grandeur et de la beauté de la profession de journalistes. Mortaza Behboudi est l’un d’eux. Afghan né en 1994, il quitte son pays natal avec sa famille deux ans plus tard pour se réfugier en Iran : déjà les Talibans... À 9 ans, en Iran, il prend des photos des manifestations qui sèment quelques temps le désordre au pays des ayatollahs et il est arrêté par la police du régime. À 18 ans il retourne en Afghanistan et étudie à Kaboul : il devient journaliste. Il n’a peur de rien : un article publié sur le trafic d’opium lui vaut d’être inquiété par les Talibans. Il manque d’être exécuté.
Le relais de ceux qui se battent
Mortaza doit fuir et se retrouve en France, dans la rue, sans contact, ignorant tout de notre langue. C’est la Maison des Journalistes qui lui permettra d’obtenir le statut de réfugié politique. Rapidement, il apprend le français et reprend des études en Sorbonne. En 2020 il devient français, et continue d’animer un site d’information, Guiti News avec des journalistes français et réfugiés. C’est son reportage Moria, Beyond Hell sur le sort des migrants du camp de Moria, échoués à Lesbos qui le projettera sur le devant de la scène, lui si discret et modeste. En 2022, les jurés du Prix de Bayeux en font leur lauréat, pour son reportage Les petites filles afghanes vendues pour survivre, diffusé sur France 2. Le 7 janvier dernier, parti en Afghanistan pour y faire son métier, il est arrêté par les Talibans et disparaît dans leurs geôles. Un comité de soutien, initié par Reporters sans frontières (RSF) et une quinzaine de médias français se mobilisent pour réclamer aux autorités françaises et internationales d’intervenir en faveur de sa libération.
L’itinéraire de cet homme est singulier : depuis son enfance, il se veut le relais de ceux qui se battent pour être libres. Lui-même n’a eu de cesse d’utiliser cette liberté, chèrement acquise, pour mettre dans la lumière ses compagnons d’infortune, migrants ballotés au gré des tempêtes des grandes puissances, sans protection ni même un regard d’une opinion publique occidentale bien plus préoccupée par la survivance de son mode de consommation que par le sort de son prochain.
Il est un visage
Il y a une trentaine d’années, les noms des journalistes français otages au Liban étaient repris chaque soir en ouverture des journaux télévisés. C’était l’époque où ceux qui présentaient l’information avaient du poids, le temps où leurs paroles ne servaient pas à remplir du temps d’antenne entre deux pages de pubs. Si Mortaza est reparti en Afghanistan ce n’est ni par transgression ni par fanfaronnade. Sans doute pensait-il qu’il fallait réveiller les opinions anesthésiées par des paroles évoquant la "normalisation" du régime Taliban, comme pour justifier l’abandon le 15 août 2021, devant leurs colonnes de guerriers, de nos principes pour lesquels nous n’avions pourtant pas hésité à sacrifier la vie de certains de nos soldats. Sans doute voulait-il dénoncer l’injustice, relayer la voix de ceux auxquels on ne tend pas de micro et qu’on préférerait ne pas entendre. Il croyait aussi que son passeport français le protégerait, que l’État dont il avait appris la langue et admiré la culture serait un garant suffisant contre la barbarie.
Il est un visage, sans l’avoir cherché, comme ces sœurs nageuses dont Netflix raconte l’épopée de leur Syrie natale jusqu’au podium des JO de Rio, de cette humanité que beaucoup refusent d’admettre et qui pourtant existe bel et bien. Une humanité qui expérimente dans sa chair d’être emportée un jour par une histoire qui la dépasse et qui refuse de s’y soumettre en cherchant par tous les moyens à se redresser pour parler, montrer et nous rendre témoins d’un mal dont nous ne sommes pas responsables mais dont nous pourrions, sans eux, facilement devenir complices. Voilà pourquoi il faut se mobiliser pour obtenir la libération de cet homme, non parce qu’il est un symbole mais parce qu’il est un visage.