Par Hugues Lefèvre, envoyé spécial en RDC. Jour de fête à Kinshasa. Depuis la pandémie de Covid-19, la pape François n'avait encore jamais retrouvé de foule aussi dense. Réunis sur le tarmac d'un aéroport de la capitale, plus d'un million de fidèles ont célébré la venue du pontife argentin, près de 38 ans après celle de Jean Paul II. La veille déjà, des milliers de personnes avaient investi l'immense terrain pour être certaines de ne rien manquer, quitte à ne pas dormir. Ce fut le cas de Joseph, 42 ans, venu de la province du Kasaï, au centre de la RDC. Ayant obtenu de son patron cinq jours de vacances pour se rendre à Kinshasa, il a fait 24 heures de route pour arriver à 3h du matin à l'aéroport.
"Je viens prendre la bénédiction du Saint Père. Quand on voit le Pape, on voit le représentant de Jésus, celui qui apporte la paix", confiait-il, tandis que la papamobile allait entrer sur le tarmac et provoquer une liesse populaire inouïe. Jusqu'au départ du Pape de l'immense scène installée pour l'occasion, danses et chants auront rythmé la célébration.
Mais à Kinshasa, l'ivresse de la matinée a laissé la place à une séquence qui marquera assurément ce cinquième voyage du Pape en Afrique, et sans doute aussi le pontificat. Une séquence que le pape a personnellement souhaitée, lui qui s'était résigné à ne pas pouvoir se rendre à Goma, à l'Est de la RDC, en raison de la guerre.
C'est à la nonciature apostolique de Kinshasa, en fin d'après-midi, que le pape a retrouvé une délégation de victimes des violences de cette partie du pays où sévit une centaine de groupes armés. Dans un silence assourdissant, qui contrastait avec l'effervescence du matin, une poignée d'hommes et de femmes ont commencé à raconter leur calvaire.
"Je suis survivant d’une attaque du camp des déplacés de Bule", a ainsi témoigné l'abbé Guy-Robert Mandro Deholo, du diocèse de Bunia. "L’attaque a eu lieu dans la nuit du 1er février 2022 par un groupe armé, lequel a fait 63 morts parmi lesquels 24 femmes et 17 enfants. J’ai vu la sauvagerie : des gens découpés comme on découpe la viande à la boucherie, des femmes éventrées, des hommes décapités", a-t-il poursuivi.
Puis est venu le tour d'Emelda M'karhungul, femme d'une trentaine d'années, qui a été retenue comme esclave sexuelle en 2005. "Chaque jour, c’est cinq à dix hommes qui abusaient de chacune de nous. Ils nous faisaient manger la pâte de maïs et la viande des hommes tués. Parfois, ils mélangeaient les têtes des gens dans la viande des animaux. C’était ça notre nourriture de chaque jour. Qui refusait de la manger, on le découpait et on nous le faisait manger. Nous vivions nues pour ne pas nous échapper".
Je dépose devant la Croix du Christ Vainqueur, la machette identique à celle qui a tué mon père.
Devant ces témoignages accablants, le pape François, visiblement marqué, a reconnu être "sous le choc". Il a salué le courage de ces personnes qui ont vécu dans leur chair la barbarie, mais ont aujourd'hui le cœur disposé à entrer dans une démarche de pardon.
Car après chaque récit, les victimes se sont avancées, portant dans leurs mains les instruments symbolisant leurs malheurs, pour les déposer devant un crucifix. "Je dépose devant la Croix du Christ Vainqueur, la machette identique à celle qui a tué mon père", a expliqué un jeune de 16 ans. "Nous mettons sous la croix du Christ ces habits des hommes en armes qui nous font encore peur" a témoigné Emelda M'karhungul. "Voici la natte, symbole de ma misère de femme violée", a pour sa part confié Bijoux Makumbi Kamala, jeune femme de 17 ans, portant dans son pagne ses deux jumelles issues d'un viol subi.