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"Je vous demande pardon." 12 juin 2022, devant une place Saint-Pierre noire de monde, le Pape s’exprime depuis la fenêtre du Palais apostolique à l’occasion de l’angélus dominical. Deux jours plus tôt, le Saint-Siège a annoncé l’annulation du voyage en RDC et au Soudan du Sud prévu pour le mois de juillet. Officiellement, il s’agit pour le Pape de ne pas "compromettre les résultats des thérapies du genou encore en cours". Mais c’est aussi à cause de la situation sécuritaire dans l’est de la RDC que les organisateurs du voyage ont pris la décision de reporter le déplacement sine die.
Une blessure pour le Pape, qui a insisté pour reprogrammer rapidement ce voyage et honorer un pays de plus de 105 millions d'habitants dont la moitié de la population est catholique. "Ce début d'année 2023 était la dernière fenêtre possible pour qu'il vienne puisqu'on attend des élections en fin d’année, et que le Saint-Siège ne veut ni influencer leur cours, ni être instrumentalisé", glisse une source diplomatique qui classe ce déplacement dans la lignée des grands voyages de François en Irak en 2021 ou bien en République centrafricaine en 2015.
À la veille de ce voyage, le cardinal secrétaire d'État Pietro Parolin, l'équivalent du Premier ministre du Pape, a confié que le pontife s'envolait pour l'Afrique en "pèlerin de la paix et de la réconciliation". Il faut dire que la RDC est laminée par une pauvreté endémique – l'ancienne colonie belge était classée 175e sur 189 par l’indice 2020 de développement humain des Nations unies. Et la situation sécuritaire est tout aussi critique, à l'est du pays notamment, où le Pape souhaitait se rendre initialement.
Sortir de l'indifférence
"Le site sur lequel le Pape devait célébrer la messe en juillet dernier se situe désormais sur la ligne de front", nous confie l'évêque de Goma, Mgr Willy Ngumbi. Depuis plusieurs mois, son diocèse est coupé en deux, une partie étant désormais aux mains des rebelles du M23, un puissant groupe armé formé en mars 2009 et essentiellement composé de rwandophones du nord du Congo qui accusent la RDC de marginaliser leur minorité Tutsi.
La région, riche en minerais, est la proie de dizaines de milices qui prospèrent sur fonds d'intérêts ethnico-économiques. "Villages, écoles, structures médicales… les rebelles d’ADF/MTM [nébuleuse que certains affilient à l’État islamique, NDLR] tuent à l’arme blanche, pillent les biens, emmènent avec eux enfants, jeunes, adultes, femmes et hommes pour transporter les biens pillés… Puis ils incendient maisons et autres biens avant de se retirer", décrit par exemple Mgr Melchisédech Sikuli, évêque du diocèse de Butembo-Beni, toujours dans le Nord-Kivu.
On peut parler de millions de morts depuis 30 ans. C'est abominable... Et ce qui est incroyable est que cela se passe dans la plus grande indifférence.
Derrière ces milices lourdement armées se cachent aussi les intérêts des puissances voisines. "Le Rwanda a une bourse spécialisée dans l’or... Pourtant, le Rwanda ne produit pas un gramme d’or sur son territoire", murmure un diplomate, horrifié par tous les drames qui se déroulent dans l'est de la RDC. "On peut parler de millions de morts depuis 30 ans. C'est abominable... Et ce qui est incroyable est que cela se passe dans la plus grande indifférence", déplore-t-il, voyant dans le déplacement du Pape une occasion d'alerter les consciences.
Ayant dû renoncer à se rendre dans le Nord Kivu, le Pape de 86 ans a personnellement souhaité rencontrer des victimes de l'est du Congo à Kinshasa, la capitale où il dormira trois nuits. Ce sera l'un des grands moments de ce voyage. "Il y aura des jeunes filles qui ont été abusées, emmenées dans les forêts par des rebelles pour être comme des esclaves sexuelles", raconte Mgr Willy Ngumbi, qui accompagnera aussi devant le Pape des ex-enfants soldats, d'autres qui ont été forcés de travailler dans les mines ou bien encore des victimes de l’éruption volcanique de mai 2021 qui avait frappé la région de Goma.
Dans ses discours, que certains prédisent "décoiffants", le Pape devrait lancer un cri pour la paix. Mais il pourrait aussi fustiger une nouvelle fois l'attitude de l'Occident vis-à-vis de l'exploitation des richesses naturelles en Afrique. Dans un grand entretien accordé à Mundo Negro, la revue de la congrégation combonienne, le Pape dénonçait déjà mi-janvier la persistance d’une mentalité coloniale concernant l’Afrique. Quelques jours plus tard, il abondait dans les colonnes de l'agence AP, en expliquant que les pays africains avaient certes obtenu l’indépendance du sol, mais "le sous-sol a été laissé aux mains des colonisateurs qui sont arrivés plus tard".
Encourager le plus grand pays catholique d'Afrique
Au lendemain de son arrivée en RDC, le pape François devrait célébrer la messe devant plus d'un million de fidèles rassemblés sur le tarmac de l'aéroport de Kinshasa. Un moment de joie pour un pays où vivent près de 50 millions de catholiques, soit 20% des catholiques du continent africain. Premier pays catholique francophone au monde, cet immense territoire a vu l'arrivée de premiers missionnaires portugais à la toute fin du XVe siècle.
La présence de l'Église s'est intensifiée au fil des siècles et l'institution dispose aujourd'hui d'un réseau d'infrastructures sanitaires et éducatives unique – elle gérerait près d'un tiers des écoles publiques et 40% des établissements de santé du pays selon le Groupe d'étude sur le Congo. Une position qui lui permet de palier autant que possible les carences des pouvoirs publics. "En RDC, quand l’État n’est pas là, l’Église supplée", souligne un jésuite congolais.
Dans ce pays qui a connu l'indépendance en 1960, l'Église est aussi régulièrement montée au créneau pour défendre l'État de droit face aux pouvoirs autoritaires qui se sont succédés. En 2015, la puissante conférence épiscopale de la RDC, la CENCO, s'est jetée dans la bataille pour une transition démocratique après 15 ans de règne de Kabila. Ayant obtenu – avec le concours de la mobilisation massive de milliers de laïcs – la tenue d'élections à la fin de l'année 2018, elle a alors déployé 40.000 observateurs sur le territoire pour s'assurer du bon déroulement du scrutin.
Mais l'issue du vote a échappé à l'institution qui n'a, dans un premier temps, pas reconnu l’élection de Félix Tshisekedi au poste de président, assurant que le véritable vainqueur était Martin Fayulu. L’archevêque de Kinshasa, le futur cardinal Fridolin Ambongo, a condamné un "déni de vérité", considérant que Kabila avait en réalité désigné Félix Tshisekedi comme son successeur.
Nous attendons que le pape François rappelle que les élections doivent être libres et transparentes, sans corruption ni trafic.
Pour éviter la paralysie et voyant les grandes puissances occidentales reconnaître Tshisekedi, les évêques de RDC ont fini par accepter l’arrivée du nouveau président. A travers cet échec, certains n'ont pas hésité à dire que l’Église en RDC avait certes de l’autorité mais peu de pouvoir.
Alors que se dessinent pour la fin de l'année des échéances électorales, certains souhaitent que le pape François délivre un message clair. "Nous attendons qu’il rappelle que les élections doivent être libres et transparentes, sans corruption ni trafic", confie Mgr Willy Ngumbi. Mais d'autres sont plus sceptiques quant à la capacité du Pape à lancer un tel appel. "Ce serait déconsidérer le président actuel qui n'avait pas été reconnu dans un premier temps par le clergé... Or, le temps a passé et l'Église et le gouvernement essayent aujourd'hui d'être constructifs tant les défis sont immenses", nuance un diplomate.
Trouver les mots justes
Le Pape devra aussi trouver les mots justes pour encourager une Église catholique fortement concurrencée par la montée en puissances des chrétiens évangéliques. Le Vatican estime que 22% de la population congolaise est protestante et 19% font partie des milieux évangéliques et pentecôtistes. Certes, le nombre de catholiques continuent d'augmenter, mais désormais moins rapidement que la population totale du pays.
Dans une note de l'IFRI rédigée en 2018 sur l'Église en RDC, Laurent Larcher avertissait déjà : "L’Afrique est un continent où l’Église catholique doit faire la démonstration de sa détermination et de son efficacité à défendre la justice sociale et la bonne gouvernance, à l’heure où les nouveaux mouvements issus de la jeunesse pensent qu’elle a échoué en ce domaine : quand ils ne la jugent pas trop timorée."