Trois encycliques et 80 livres
En tant que président de la commission biblique pontificale, il encadre la rédaction de deux documents clés : L’Interprétation de la Bible dans l’Église (1993), un condensé de référence de l’enseignement de l’Église sur les principes régissant l’interprétation des Écritures, ainsi que Le Peuple juif et ses saintes Écritures dans la Bible chrétienne (2002), un ouvrage permettant de comprendre la relation entre Ancien et Nouveau Testament. Au cours du pontificat de saint Jean Paul II, le cardinal Joseph Ratzinger joue un rôle important dans la composition du Catéchisme de l’Église catholique (1992), rédige la Déclaration commune sur la doctrine de la justification avec des membres de la fédération luthérienne mondiale (1999) et publie la déclaration Dominus Iesus (2000), destinée à éclaircir certains points ambigus dans les domaines de l’ecclésiologie, de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux.
Une fois pape, il publie trois encycliques : la première sur la vertu théologale de l’amour, Deus Caritas est (2005), la deuxième sur celle de l’espérance, Spe salvi (2007), et la troisième sur le lien entre charité et vérité, Caritas in Veritate (2009). Une quatrième encyclique sur la vertu de foi avait été ébauchée sans pour autant paraître avant la fin de son pontificat. Une version de ce texte est sortie ensuite sous le nom de François, Lumen Fidei (2013).
Benoît XVI publie également quatre exhortations apostoliques : Sacramentum Caritatis (2007), qui reprend des thématiques de ses ouvrages liturgiques datant de la période où il n’était pas encore pape, Verbum Domini (2010), qui se concentre sur la christologie et les Écritures, ainsi que Africæ Munus (2011) et Ecclesia in Medio Oriente (2012). En plus de ces documents du magistère, il publie plus de 80 livres, dont son ouvrage d’exégèse Jésus de Nazareth écrit au cours de son pontificat, ainsi que de nombreux articles académiques.
Dans les eaux mouvementées de la crise théologique
Joseph Ratzinger/Benoît XVI était un homme qui avait compris la crise théologique des quatre derniers siècles. C’est ce qui donne tant de valeur à son œuvre. Un certain nombre de ces crises trouvent leurs racines dans la philosophie et la théorie sociale allemandes. Beaucoup ont perdu la foi en essayant de naviguer dans ces eaux mouvementées. Ratzinger avait une formation intellectuelle suffisamment solide pour en comprendre les enjeux, et la puissance intellectuelle pour y répondre. Il n’a jamais perdu la foi de son enfance. Différents dons de l’Esprit Saint sont pour cela nécessaires, particulièrement la piété. D’autres, aux egos plus importants, se sont perdus en chemin.
Le terme académique de "soixante-huitards" désigne la génération née à la fin de la Seconde Guerre mondiale dont les membres sont devenus jeunes étudiants et adultes à la fin des années soixante. L’élite de cette génération était résolument hostile au christianisme et de nombreux catholiques ont été pris par le courant. L’historien Gerd-Rainer Horn a noté que la majorité des leaders étudiants les plus virulents de l’époque étaient en réalité d’anciens séminaristes catholiques ou des candidats à des ministères protestants.
La thèse de Horn est qu’il y a eu chevauchement entre la dimension utopique et messianique du catholicisme et les idéaux séculiers des années soixante. Le catholicisme messianique et le marxisme se sont emparés de l’imaginaire d’une génération, et ces forces jumelles se sont renforcées mutuellement. Ce phénomène s’est appuyé sur l’appel conciliaire à "lire les signes du temps" et à "s’ouvrir au monde" — exhortations auxquelles on a prêté, selon Ratzinger, des interprétations sociologiques plutôt que théologiques.
La foi ne change pas
Des théologiens comme Johann-Baptist Metz en Allemagne ont établi un lien entre les concepts de salut et de libération, donnant lieu au mouvement de la théologie de la libération en Amérique Latine, alors qu’aux Pays-Bas et en Belgique, des théologiens comme Edward Schillebeeckx se sont mis à associer la foi à des éléments du Zeitgeist ("l’air du temps", Ndt). Le résultat est que dans les années soixante-dix, l’idée de construire le royaume de Dieu a pris la forme d’un projet visant à œuvrer pour différents types de mouvements de libération des minorités, alors que le christianisme en tant que tel connaissait un processus de sécularisation, prenant parfois le visage d’une parodie philanthropique encore prégnante dans certains cercles aujourd’hui.
Ratzinger s’est toujours opposé à ces divers courants sociaux et théologiques, en arguant que la foi ne change pas d’une génération à l’autre. Au contraire, une crise pastorale peut conduire à l’approfondissement de la compréhension de la foi et donc au développement de la doctrine et de la tradition théologique de l’Église. En revanche, il n’était pas question selon lui de remanier le dépôt de la foi dans le temps. Il insistait sur le fait que même les papes sont circonscrits à la fois par les Écritures et la tradition. Il décrivait la papauté comme une monarchie constitutionnelle, et non un régime absolu. Les monarques constitutionnels sont encadrés dans l’exercice de leur pouvoir par des conventions constitutionnelles. Dans le cas du ministère de Pierre, les "conventions" sont les enseignements du Christ présents dans les Saintes Écritures ainsi que dans la tradition de l’Église.
Un style clair et élégant
De nos jours, le point de vue des jeunes générations est très différent de celui-ci de leurs aînés soixante-huitards. Beaucoup se réfèrent aux écrits de Ratzinger pour leur fondement et leurs principes théologiques. Habituellement, quand des grands ecclésiastiques se retirent ou meurent, leur capacité à influencer les affaires de l’Église diminue. Or dans le cas de Joseph Ratzinger, ce « pouvoir » repose sur la puissance de son témoignage intellectuel. Ce phénomène perdurera tant que ses ouvrages seront disponibles, qui ont le mérite d’être accessibles à tous ceux qui ont reçu une éducation religieuse. Ils sont écrits dans un style très clair et élégant, sans avoir recours à des idiomes théologiques trop denses. Ils sont par exemple lus par des laïcs, jeunes professionnels ayant à cœur d’élever leur famille dans une culture post-moderne où l’on ne croit plus à la raison et à la vérité.
Aucun autre cardinal n’a eu de fan club vendant des objets à son effigie, du mug de café au tee-shirt affichant ses bons mots ou des slogans comme "J’aime mon berger allemand : Benoît XVI". Il est vrai que le "Ratzinger Fan club" a compté peu de membres dans des pays comme l’Allemagne ou la Belgique où l’Église a implosé dans les années soixante. Que ces pays soient aussi le lieu d’expérimentations pastorales et théologiques que Joseph Ratzinger jugeait problématiques n’est, on s’en doute, pas une coïncidence. Cependant, le théologien a été populaire dans d’autres pays développés comme les États-Unis, qui possède son fan club, ou encore la Pologne et la Hongrie, où la théologie de la libération et les stratégies pastorales corrélationistes n’ont jamais connu autant d’attrait que la théorie de la libération en Amérique latine ou que le corrélationisme en Belgique.
L’herméneutique de la continuité
La réalité démographique catholique dans les pays développés est celle du développement de deux types de familles de jeunes théologiens, l’une rattachée à un mouvement ecclésial pour lequel la théologie de saint Jean Paul II et de Benoît XVI sont centrales, et l’autre rattachée aux mouvements traditionalistes.
Quand les futures générations se pencheront sur l’histoire de notre époque, il est fort possible que Benoît XVI figure aux côtés de François, Dominique, Robert Bellarmin et Charles Borromée
Ces derniers sont ambivalents vis-à-vis de Ratzinger, car s’il a été comme eux très critique envers les tendances liturgiques post-conciliaires, il a considéré que les documents de Vatican II étaient fondés sur le plan théologique s’ils étaient lus avec un accent christocentré et interprétés selon "l’herméneutique de la continuité".
Le futur de l’Église en Europe et dans les pays anglo-saxons va se construire sur la foi de ces deux jeunes familles de catholiques, puisque les catholiques libéraux n’ont pas été en mesure de transmettre leur vision du catholicisme à leurs enfants et à leurs petits-enfants. Ils peuvent transmettre leurs valeurs politiques, mais les générations qui suivent ne voient pas l’intérêt de l’Église une fois que la proclamation de l’Évangile a été sécularisée. Il est difficile de transmettre une "tradition" qui est par nature "anti-traditionnelle", particulièrement quand son fondement théologique ultime ne laisse pas vraiment de place à l’action de Dieu sur la terre.
Quel héritage ?
Mon espérance est qu’une grande partie de ceux qui ont été éduqués dans des familles traditionalistes lisent un jour les ouvrages de Ratzinger et s’unissent aux membres des nouveaux mouvements ecclésiaux pour opérer un authentique renouvellement. Quand les futures générations se pencheront sur l’histoire de notre époque, il est fort possible que Benoît XVI figure aux côtés de François, Dominique, Robert Bellarmin et Charles Borromée, comme un saint qui a héroïquement tenté de réformer une Église plongée dans une nouvelle forme de décadence. Il pourrait même, comme Bellarmin, être déclaré docteur de l’Église pour avoir mis ses dons au service de la résolution de la crise théologique de son temps.