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Pier Paolo Pasolini et Paul VI, deux lanceurs d’alerte inattendus

Pasolini

Pier Paolo Pasolini, au second plan.

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Michel Cool - publié le 29/11/22
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Quoi de commun entre le scénariste anticlérical Pasolini et le pape Paul VI ? Une même passion pour le Christ et une même révolte contre les mœurs bourgeoises de la société matérialiste. L’éditeur Michel Cool voit chez eux une commune résistance spirituelle au chaos du monde.

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On commémore cette année le centenaire de Pier Paolo Pasolini (1922-1975). En Italie, il passe pour être l’un des plus grands intellectuels et artistes du XXe siècle. Homme-orchestre de la culture italienne, Pasolini fut à la fois un écrivain, un poète, un journaliste, un scénariste et un metteur en scène foisonnant, provocateur et même sulfureux. Il y avait du Caravage chez lui. Des traits communs reliaient ces deux talents tellement entiers : l’un dans ses tableaux et l’autre dans ses films et ses poèmes savaient faire jaillir la lumière des obscurités parfois les plus sordides de la condition humaine. L’un et l’autre aussi menèrent des vies en marge des normes et des stéréotypes de leur époque : le Caravage était traité de dépravé, de bagarreur et d’assassin ; Pasolini revendiquait son homosexualité et militait pour le droit à la différence. Tous deux connurent des morts mystérieuses et atroces : on retrouva le cadavre du peintre abandonné dans un cimetière et celui, massacré, du cinéaste sur la plage d’Ostie.

La tentation de la sainteté

Le 4 décembre prochain, un colloque sur "La figure christique chez Pier Paolo Pasolini" a lieu dans la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles. Que diable fait-on entrer Pasolini dans une cathédrale ! Son chef-d’œuvre cinématographique s’inspire pourtant bien du Christ : L’Évangile selon saint Matthieu, sorti sur les écrans en 1964, fut nommé trois fois pour les Oscars. Il est devenu un film culte. Volontiers provocateur, Pasolini, communiste et anticlérical notoires, l’avait dédié au pape Jean XXIII. 

René de Ceccaty, son meilleur spécialiste en France, voit en ce film un autoportrait : "Quand il a fait dans L’Évangile selon saint Matthieu le portrait du Christ, il voulait décrire un homme révolté, soucieux de justice et de vérité, comme un double de sa propre personnalité." Cette fascination apparue dès l’enfance ne s’est jamais tarie. "J’eus la tentation de la sainteté. Ce fut la poésie", confia Pasolini. Au fil de ses engagements contre le fascisme, puis contre le "système" représenté à ses yeux par la démocratie chrétienne et le Parti communiste dont il finit par se séparer, la figure du Christ demeura pour lui une source d’inspiration et de radicalité critique face à une société préférant s’aliéner la Parole de Dieu plutôt que les sirènes de la consommation et de l’hédonisme à tous crins.

Pasolini a été un observateur affûté des transformations de la société italienne de l’après-guerre jusqu’à la moitié des années soixante-dix. Il souleva de vives polémiques et provoqua des débats à cause de ses idées très critiques envers les mœurs bourgeoises et la société consumériste naissante, mais aussi vis-à-vis des mouvements contestataires de 1968 et de ses protagonistes : il les trouvait "à côté de la plaque". Il estimait même que leur libéralisme sociétal faisait le jeu de l'idéologie consumériste qui n'en ferait qu’une bouchée. 

Résistance spirituelle

Ses articles parus dans la presse italienne ont été réunis et traduits en français dans un volume intitulé Écrits corsaires. L’un de ses écrits est assez époustouflant. Pasolini y souligne le caractère historique d’un discours de Paul VI, passé alors complètement inaperçu. C’était le 11 septembre 1974 à Castel Gandolfo. Pasolini relève que "le Pape profondément impulsif et sincère qu’est Paul VI a admis explicitement que l’Église a été vaincue par le monde ; que son rôle est soudain devenu incertain et superflu ; que le pouvoir réel n’a plus besoin d’elle et l’abandonne donc à elle-même, […] que n’existe plus le problème des “pauvres” c’est-à-dire le problème le plus important pour l’Église, etc".

Pasolini ne se moque pas de ce recours à la conversion intérieure. N'est-elle pas une forme de la révolution non-violente qui le fait rêver ?

Grâce à Pasolini, j’ai découvert cet étonnant discours du 11 septembre 1974. J’ai ressenti un frisson d’émotion en le lisant. En effet, un pape osant se libérer de tout compromis avec la doxa ecclésiale et aussi avec la folklorisation de la religion attendue par la société, constate en quelques mots simples et clairs, la fin de vie d’un style d’Église. Sa faille ? S’être trop compromis ou pas assez opposé à l’OPA effectuée sur le monde et les esprits par des "valeurs" furieusement matérialistes et marchandes. Que faire ? Avoir confiance et prier, répond sans plus ce pape expert en crises. Pasolini ne se moque pas de ce recours à la conversion intérieure.

Pasolini n’était pas du sérail catholique, loin s'en faut. Paul VI en était un fruit. Mais tous deux ont été des lanceurs d’alerte prophétiques pour l'Église.

N'est-elle pas une forme de la révolution non-violente qui le fait rêver ? Le poète italien voit aussi dans cet aveu un gage de la sincérité et de la résistance spirituelle de ce pape si incompris et si abandonné par les siens et par le monde. Peut-être justement parce qu'il avait su voir de loin, et avant tant de monde, les grands éclairs qui zèbrent maintenant l'horizon de l’Église. Pasolini n’était pas du sérail catholique, loin s'en faut. Paul VI en était un fruit. Mais tous deux ont été des lanceurs d’alerte prophétiques pour l'Église. Leur arrimage parallèle à la figure du Christ, pas forcément identique, était cependant leur socle partagé. Et peut-être aussi, le stimulant de leur extraordinaire résistance spirituelle dans le chaos du monde.

En savoir plus :

À l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Pier paolo Pasolini, la Cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles organise et abrite un colloque destiné à évoquer « la figure christique chez Pasolini » le dimanche 4 décembre. Renseignements.
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