Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l'avenir d'Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l'impôt sur le revenu
Si l’incendie de Notre-Dame a pu être éteint, le feu du scandale lèche toujours les murs de l’Église et ruine le peu de considération qui lui reste dans une opinion devenue au mieux indifférente, au pis hostile. L’affaire de l’ancien évêque de Créteil explose au visage des fidèles comme une bombe à retardement, eux qui pensaient que l’institution avait enfin changé depuis la publication du rapport de la Ciase il y a un an. Les voilà sidérés par une affaire de mœurs mouillant pour la première fois un clerc de haut rang. Tant de questions surgissent dans leur esprit troublé : comment cet homme a-t-il pu accepter de devenir évêque après avoir ainsi sali son prochain et profané la confession ? Pourquoi un de ses pairs, sachant la gravité des faits, a-t-il pu l’inviter à la messe chrismale ? Pourquoi les raisons de son départ ont-elles été cachées ? Pourquoi l’avoir discrètement muté comme aumônier d’une communauté religieuse ? Pourquoi n’est-il pas réduit à l’état laïc ? Et puis : pourquoi ne pas avoir médiatiquement déminé cette histoire beaucoup plus tôt ? Arrêtons-nous sur le seul aspect de la communication.
À l’Église, on ne pardonne rien
L’Église se débrouille-t-elle plus mal que les autres ? Sans doute, mais reconnaissons que des entreprises, même grosses, ne s’en sortent pas mieux, malgré leur budget stratosphérique et leurs cabinets spécialisés. Souvenons-nous des suicides à France Télécom, de l’Erika éclaboussant Total, de l’affaire Kerviel à la Société générale, ou récemment d’Orpea dézingué par un livre-enquête sur ses Ehpad. Si des grands groupes peuvent être mauvais, l’Église a donc toutes les raisons de l’être aussi, d’autant que chez elle, il n’y a pas d’argent — au sens qu’elle n’est pas là pour en faire.
La communication "n’est pas son truc" puisqu’elle n’a rien à vendre ni à défendre. Les clercs jouissent aussi d’un statut plus ou moins inamovible, comme dans la fonction publique et le mot ministère prend ici tout son sens. On n’y aime ni la transparence ni les médias. C’est vrai au Quai d’Orsay, à Balard ou avenue de Breteuil. Les entreprises privées se méfient tout autant et cadenassent à mort leur parole. La réalité est à l’inverse du discours. Bref, quand cela va mal, toutes les institutions ont tendance à se bunkeriser et à faire le gros dos – et l’Église n’y échappe pas, voilà tout.
La différence, c’est qu’on ne le lui pardonne pas. Ailleurs, on sait que le mensonge est partout, en politique comme en économie. Combien d’entreprises s’épuisent à se bâtir une devanture proprette, quand l’arrière-boutique regorge de stocks scabreux. On présume ainsi que l’Église n’a pas le droit de faire pareil, ce qui montre que son corps bouge encore, que sa substance ne se résume pas aux crimes du personnel ecclésiastique.
L’Église fut pionnière dans la communication
Associé fondateur chez Tilder, Matthias Leridon conseille de grands dirigeants d’entreprise. Comme beaucoup d’autres, il est subjugué par les errements de l’institution. Son analyse, diffusée mercredi sur Radio Notre-Dame, mérite d’être entendue. Négliger la communication ? "C’est comme si un marin prenait la mer sans se soucier du vent." Il est urgent que la barque de Pierre hisse la grand-voile, qu’elle intègre le temps médiatique. On ne peut plus vivre sur le crédit illimité des siècles pour ne pas rendre des comptes ici et maintenant.
Comment tourner une page quand l’encre continue de baver ?
Ce point est d’autant plus pressant que les affaires d’abus sexuels ponctuent l’actualité et que cette récurrence empêche "l’Église de les historiciser", ajoute Matthias Leridon. Comment tourner une page quand l’encre continue de baver ? Pour cela, l’institution doit aussi changer son rapport à l’image, ou plutôt renouer avec lui. L’Église fut pionnière en la matière, via les arts, la peinture et l’architecture notamment. Vitraux et tympans ne servent-ils pas à communiquer ? L’image se nourrit du charisme. On se souvient de Jean-Paul II embrassant le sol. Sur les crimes sexuels, on n’a pas d’image permettant de clore le dossier, de montrer qu’il y a un avant et un après. Les homélies ne descendent pas au niveau de l’opinion. Certes, les grandes figures ont disparu et bien des Français ne seraient pas capables, si on le leur demandait, de citer un seul homme (ou femme) d’Église d’aujourd’hui.
La force de la faiblesse
Le rapport à l’image induit celui à la responsabilité. Contrairement à l’entreprise, où un patron prend la foudre, l’Église donne le sentiment de se dérober, comme si elle s’abritait derrière son collectif, lequel est insaisissable à l’œil contemporain. Cette réalité brouille le rapport aux victimes. L’institution renvoie à une société anonyme. Quand les médias la présentent dans toute sa raideur verticale, elle apparaît plutôt comme un archipel de structures horizontales plus ou moins liées entre elles, disposant d’une forme d’extraterritorialité assise sur un droit particulier. Nul ne veut ni ne peut en suivre toutes les sinuosités. Diocèse, communauté nouvelle, congrégation, etc., ce langage est devenu un maquis dans lequel certains trouvent toujours à se cacher, suspecte-t-on aisément. De cette situation, juge Matthias Leridon, il résulte que "l’Église donne l’impression d’être du côté des forts", alors qu’elle est faible et s’en fait une gloire.