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"Une réforme était nécessaire", explique à Aleteia Bertrand Galimard Flavigny. Pour autant, les membres de l’ordre de Malte craignent de devenir une ONG comme les autres. En consacrant l’institution comme un ordre religieux, le pape François menace-t-il la souveraineté des hospitaliers ? C’est tout l’enjeu de la nouvelle constitution.
Aleteia : L’Ordre de Malte a été créé en 1048, approuvé par le pape en 1113. C’est une organisation atypique, à la fois ordre religieux, État souverain sans territoire et ONG caritative. Comment est née cette institution unique en son genre ?
Bertrand Galimard Flavigny : Pour comprendre l’origine de l’ordre et son fonctionnement, il faut revenir à l’histoire. Quand les croisés entrent à Jérusalem en 1099, il trouve déjà des hospices fondés par des commerçants d’Amalfi, et confiés à des religieux habillés en noir. Parmi eux, un frère Gérard, aurait demandé au pape Pascal II (1099-1118) de les reconnaître comme un ordre religieux "exempt", c’est-à-dire qu’il ne dépend que du pape et qu’il peut élire ses propres supérieurs. Ces "moines noirs" hospitaliers, installés en territoire instable, doivent prendre les armes comme les templiers pour protéger leurs hôpitaux, la plupart des croisés étant repartis.
Vers 1948, les hospitaliers résistent à une tentative de regroupement avec l’ordre du Saint-Sépulcre. En 1961, une nouvelle Charte et l’élection d’un grand maître stabilisent la situation.
La souveraineté territoriale arrive après la perte de Saint Jean d’Acre : farouchement attachés à leur indépendance, les hospitaliers s’installent à Rhodes en s’organisant de manière souveraine : ils rendent justice, battent monnaie, etc. Cette situation dure de 1229 à 1527. Chassés par les Ottomans avec les honneurs de la guerre, ils se replient à Malte, véritable verrou stratégique au milieu de la Méditerranée, que leur cède Charles Quint, avec l’accord du Pape, en pleine souveraineté. Là, ils font de ce caillou un pôle de résistance ininterrompu aux Turcs et aux barbaresques jusqu’en 1798 et l’invasion de l’île par traîtrise du général Bonaparte. Malte est un État à part entière, avec ses ambassadeurs. Le grand maître pose avec la couronne fermée, indiquant par là qu’il est pleinement souverain, à l’égal des rois.
Vient ensuite une période d’errance jusque vers les années 1830, où l’ordre s’installe à Rome. En 1879, Léon XIII autorise la nouvelle élection d’un grand maître et l’ordre retrouve peu à peu son indépendance de fonctionnement, faisant de l’ordre un État souverain sui generis. Vers 1948, les hospitaliers résistent à une tentative de regroupement avec l’ordre du Saint-Sépulcre. En 1961, une nouvelle Charte et l’élection d’un grand maître stabilisent la situation.
Une crise récente, dans les années 2016-2017, révèle des désaccords de type doctrinal au sein de l’ordre, et des tensions avec les autorités de l’Église. Le pape François promulgue le 3 septembre dernier une nouvelle Constitution. En quoi cette décision constitue-t-elle une rupture historique ?
Beaucoup de paramètres interviennent dans cette crise, et notamment de nombreuses maladresses de part et d’autre, donnant lieu à des divisions et des incompréhensions. Même si la décision a été prise de dépoussiérer la Charte, le Pape a tranché en rupture avec les règles historiques de la souveraineté de l’ordre, en nommant un nouveau lieutenant grand maître ainsi que les membres du souverain conseil. Nous ne connaissons pas encore le contenu de la nouvelle Charte.
Il reste qu’une réforme était nécessaire, en particulier sur les exigences de quartiers de noblesse, sur la féminisation et sur l’internationalisation.
La grande crainte des membres de l’ordre est que celui-ci devienne une ONG comme les autres, composée de religieux et de laïcs, dont les responsables seraient nommés par le pape. Il reste qu’une réforme était nécessaire, en particulier sur les exigences de quartiers de noblesse, sur la féminisation et sur l’internationalisation. Le Pape veut davantage de profès, c’est-à-dire de religieux engagés par des vœux. Cela dit, l’ordre a déjà évolué : depuis 1961, existent les "chevaliers en obédience", recrutés parmi les chevaliers laïcs, et qui constituent une sorte de tiers-ordre.
Il semble que la volonté du Pape est de consacrer l’Ordre avant tout comme un ordre religieux. Autrement dit comme une institution dirigée pleinement par des religieux, lesquels lui doivent obéissance, comme tous les religieux.
Ce qui pourrait changer véritablement, c’est que le grand maître soit constitutionnellement désigné par le Pape, ou qu’il soit lui-même un cardinal, et non un laïc ayant rang de cardinal. Si l’ordre devient un ordre religieux non souverain, il n’aurait pas la liberté d’action et la rapidité pour intervenir à son initiative propre, notamment sur le terrain diplomatique auprès des États.
En outrepassant la souveraineté de l’ordre avec la nomination des membres du souverain conseil, le Pape a rompu avec le principe historique de l’élection.
Pour autant, en quoi le renforcement de l’autorité du Pape sur les grandes orientations de l’ordre pourrait-elle se faire aux dépens de l’autonomie de gouvernement de l’Ordre, comme à l’égard de tout supérieur de congrégation, même si celui-ci doit rendre des comptes ?
En effet, c’est ce que nous dira la nouvelle Constitution. Ou il y a suppression des hospitaliers, ou il y a maintien de la souveraineté. Simplement, en outrepassant la souveraineté de l’ordre avec la nomination des membres du souverain conseil, le Pape a rompu avec le principe historique de l’élection. Il est possible que la mesure ait été transitoire, et que l’ordre revenu, le fonctionnement habituel reprenne son cours.
Un chapitre général de l’Ordre est convoqué le 25 janvier prochain pour avaliser le nouveau gouvernement. D’autres décisions sont-elles attendues ? Quelles sont ses perspectives d’évolution après la décision du Pape ?
Ce qui peut changer, c’est l’accès aux grandes charges, qui pourraient devenir plus ouvertes. La volonté du Pape, comme je l’ai dit, c’est d’avoir davantage de profès, davantage de spiritualité. De nouvelles exigences seront peut-être prévues sur la vie communautaire des religieux. Il y a par ailleurs des pressions de la part de certaines associations nationales à prendre en considération : les Allemands qui sont très puissants financièrement, les Américains qui n’ont pas accès aux hautes charges faute de quartiers de noblesse. Ce n’est pas un hasard, par exemple, si un Américain figure parmi les nouveaux membres du conseil nommé par le Pape. D’une manière ou d’une autre, l’internationalisation de l’Église, qui est de moins en moins européenne, devrait se retrouver dans la structure de l’ordre de Malte.
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.