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Les deux Paul, autistes dans la mare de l’indifférence

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Cyril Douillet - publié le 10/09/22
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Elles sont mères d’un enfant autiste et racontent le quotidien de leurs vies avec lui, au milieu de l’indifférence générale. Notre chroniqueur Cyril Douillet, rédacteur en chef de la revue "Ombres et Lumière", a lu leurs témoignages qui poussent l’humanité jusque dans ses marges.

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En cette rentrée littéraire paraissent deux ouvrages singuliers aux points communs troublants. L’un et l’autre sont écrits par la maman d’un enfant — leur premier né — porteur d’autisme et prénommé Paul. Dans Un enfant sans histoire, paru le 25 août aux éditions Actes Sud, l’écrivaine d’origine vietnamienne Minh Tran Huy fait le récit de sa vie avec son fils, âgé de 9 ans. Dans On n’est pas à l’abri d’un bonheur — à paraître à la fin du mois de septembre chez Salvator, Marie-Amélie Saunier raconte par petites touches la vie de sa famille peu ordinaire : elle est veuve, et Paul, 21 ans, est suivi de trois autres enfants "valides". 

La découverte du handicap

Le ton des deux livres est fort différent. Minh Tran Huy raconte de façon chronologique la découverte du handicap, le combat mené par elle et son mari pour mettre en place les bonnes méthodes, les espoirs soulevés par son accueil dans une classe "soleil", les désillusions du réel, la prise de conscience et l’acceptation que Paul ne progressera que faiblement et lentement. L’auteur, qui s’est engloutie dans toute la littérature sur l’autisme, met en regard la trajectoire de son fils et celle de Temple Grandin, cette américaine diagnostiquée autiste enfant, qui a réussi faire son chemin dans la vie, jusqu’à devenir universitaire et militante de la cause animale. Marie-Amélie Saunier, elle, évoque cette période entre la sortie de l’enfance de Paul et son entrée dans l’âge adulte. Cela fait longtemps qu’elle semble avoir renoncé à croire en des progrès décisifs. Elle s’efforce de tirer le meilleur d’un quotidien exigeant, parfois harassant ; elle souligne avec humour le caractère pittoresque de la vie avec son ado, le secours de sa foi chrétienne, et la joie qu’elle cherche toujours à recueillir malgré les luttes.

Ces deux livres nous rappellent l’existence de personnes qui sont dans l’angle mort de la vie du commun des mortels, mais aussi souvent, malheureusement, des politiques publiques.

Malgré leur différence d’âge, les deux Paul se ressemblent fort : ils ne parlent pas, n’ont pas accès à la vie conceptuelle, ont des gestes stéréotypés et sont dépendants des adultes pour toute la vie quotidienne. Ils ont ce qu’on appelle un autisme sévère. Ils sont loin de ces cas un peu exceptionnels, de ces autistes qui sont brillants intellectuellement et ont fait leur trou dans l’existence sociale, malgré leurs particularités, et que les médias aiment à mettre en avant depuis Rain man.

La mare de l’indifférence

Ces deux livres — d’excellente facture — nous rappellent l’existence de personnes qui sont dans l’angle mort de la vie du commun des mortels, mais aussi souvent, malheureusement, des politiques publiques. Les "Paul" résistent à la visée inclusive — joli mot qui signifie parfois notre tentation de faire rentrer tout le monde dans la "normalité" ; ils auront du mal à se saisir de cet empowerment — pouvoir d’agir — qui est devenu un mot d’ordre dans le monde médico-social ; ils ne sont pas simplement "en situation de handicap", mais sont bien handicapés, dans l’incapacité d’accéder à l’autonomie comme la plupart de leurs congénères. Ces deux Paul, par la plume de leur génitrice, sollicitent notre attention, sur leur sort et sur celui de leurs parents éprouvés ; notre empathie et sollicitude, également. Ils jettent un pavé — de quelques dizaines de pages, mais aux mots lestés — dans la mare de l’indifférence, cette terrible indifférence qui renvoie chacun à sa solitude. Oui, avoir Paul dans notre champ de vision, c’est envisager l’humanité jusque dans ses marges — et sans doute, nous rendre plus humains.

Pratique

Minh Tran Huy, Un enfant sans histoire, Actes Sud, 208 pages, 21,50 euros.
Marie-Amélie Saunier, On n’est pas à l’abri d’un bonheur, Salvator, 144 pages, 14 euros.
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