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Comment est-il possible de grandir ou de gagner — ce sont les deux images de l’évangile : grandir pour une tour, gagner pour une bataille —, grandir ou gagner en piété sans grandir ou gagner en même temps en sagesse ? "En même temps" et non pas "à la fois". "En même temps" ? l’un entraîne l’autre ; "à la fois" ? ils se demandent ce qu’ils font ensemble. Comment est-il possible de grandir en piété, d’être de plus en plus fidèle et uni à Dieu dans la prière, sans être plus avisé au quotidien, dans la vie de tous les jours ? Nous devons nous poser la question parce que, pour nos contemporains, ces deux chemins se sont séparés, les deux chemins de la religion et du bonheur. Et nous devons reconnaître une part de responsabilité quand ils ne trouvent en nous, c’est-à-dire en l’Église, ni l’un ni l’autre : ni la ferveur ni la compassion, ni la foi ni la charité, ni la transcendance de Dieu ni l’humanité du Christ.
Porter sa croix
Comment faire pour que la messe, la prière commune, du peuple de Dieu, change notre vie ? Dans quel esprit irons-nous cette année à la messe pour nous laisser vraiment transformer par le Christ ? C’est le sujet de l’Évangile de ce dimanche de rentrée, où le Christ nous appelle à la folie de la Croix : le préférer à tout, l’aimer à la folie, puisque le Seigneur nous aime ainsi : à la folie ! Et il en sait le prix, qui a été le don de sa vie : "Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple." Qui ne voudrait pourtant s’en débarrasser, de sa croix ? Je pense à ceux dont j’ai vu ou qui m’ont raconté leur été : un cancer à affronter, un proche à soutenir, un enfant terrible ou lourdement handicapé… Pour beaucoup, il a été dur cet été. Quand j’entends l’expression "porter sa croix", je pense à ce confrère qui s’était fait héler, en vélo, par une paroissienne parce qu’il ne portait pas de signe distinctif : "Monsieur l’abbé, vous n’avez pas mis de croix !" – "C’est vous ma croix, Madame", avait-il répondu.
Que Dieu nous donne d’éviter ces deux coquilles vides que sont la piété sans la charité et la sagesse sans la tendresse.
Et voilà qu’après cet appel si radical, le Christ nous livre deux paraboles, en apparence décalées, l’histoire de deux hommes qui entreprennent l’un de construire une tour, l’autre de partir en guerre : le premier n’était pas prévoyant tandis que l’autre se montra plus prudent. Il est vrai que le premier ne risquait que des quolibets, qu’on se moque de lui, l’autre d’y perdre la vie. Est-ce qu’il faut comprendre que si le premier avait davantage prié, il aurait pu terminer ? Et pour le second, serait-ce son ange gardien ou l’Esprit-Saint qui l’a retenu et sauvé, empêché d’aller à sa perte ? Y a-t-il vraiment un lien entre la piété et la sagesse, un effet de la prière sur la sagesse ?
La prudence des justes
Oui, il s’appelle la prudence. La prudence vient de l’Esprit-Saint, et c’est logique, la piété et la sagesse étant deux des sept dons du Saint-Esprit. Le mot prudence ne figure qu’à deux endroits de l’Évangile. En saint Matthieu, Jésus, envoyant ses disciples "comme des brebis au milieu des loups", leur dit : "Soyez prudents comme les serpents et candides comme les colombes" (Mt 10, 16). La tournure est typiquement rabbinique avec deux images qui se corrigent et s’équilibrent puisque la prudence ne se confond "ni avec la duplicité ou la dissimulation" (elle ne se dissimule pas comme les serpents) "ni avec la timidité ou la peur" (elle ne s’effarouche pas comme les colombes) (Cf. CEC, 1806).
En saint Luc, le mot prudence prend tout son sens dans la mission de Jean-Baptiste de "ramener les incrédules à la prudence des justes", incredulos ad prudentiam justorum (Lc 1, 17). Non seulement l’homme prudent est le contraire de l’impie, mais il est, comme saint Joseph, l’homme juste, "le serviteur fidèle et prudent" à qui Dieu peut confier son Enfant.
La prudence vient de la prière
La définition que donne Aristote de la prudence renvoie à l’attitude des hommes prudents : la prudence est le fait des gens prudents. Est-ce que vous vous considérez comme une personne prudente ? Est-ce que vous diriez de Jésus qu’il est un homme prudent ? Il est l’homme parfait, l’accomplissement de toutes les vertus : diriez-vous que sa vie est un modèle de prudence ? Oui, parce que ses enseignements viennent de sa prière. C’est parce qu’il prie sans cesse que chacune de ses paroles est un rayon de l’Esprit saint. Et chacun de ses actes témoigne de son amour du Père.
Que Dieu nous donne d’éviter ces deux coquilles vides que sont la piété sans la charité et la sagesse sans la tendresse, uniquement égoïste. Tâchons de réconcilier ces deux chemins de la religion et du bonheur, de la piété et la sagesse, deux chemins qui n’en font qu’un quand ils sont conduits par l’amour.