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C’est arrivé fin juillet. Comme les commentateurs étaient déjà en vacances ou se préparaient à y partir, on n’en a pas fait de gorges chaudes. Mais il n’est jamais trop tard. Au beau milieu de son "pèlerinage pénitentiel" au Canada, le pape François a vigoureusement critiqué la cancel culture. Les médias l’ont dûment mentionné, mais sans s’étonner. Il y avait pourtant lieu de se demander si cette attaque contre un mouvement contemporain qui dénonce toute sorte d’oppression ne brouillait pas la raison d’être de ce voyage : présenter excuses et demandes de pardon pour la participation de chrétiens à la désastreuse politique d’assimilation forcée des peuples autochtones du Canada aux XIXe et XXe siècles.
La solution de l’énigme tient en un seul mot : colonisation. Celle-ci est aujourd’hui réprouvée comme l’exercice cynique d’une domination technologico-économique permettant aux Occidentaux blancs d’exploiter le reste du monde en méprisant et réprimant les traditions, la culture et l’identité de nations entières, déclarées inférieures. L’audace du Pape a été de soutenir que le colonialisme n’a pas disparu, et que ceux qui le perpétuent sont les anticolonialistes les plus féroces. Cette militance ne prend bien sûr pas militairement le contrôle de pays pour y imposer sa loi et tirer profit de leurs ressources humaines et matérielles. Ce néocolonialisme est idéologique. Déjà, dans Querida Amazonia en 2020, le pape François écrivait que "la colonisation ne s’arrête pas, elle se transforme même en certains lieux, se déguise et se dissimule".
Entendons par là qu’elle réprime impitoyablement toute opinion différente des siennes. C’est donc une espèce intellectuelle et moralisatrice de terrorisme. C’est l’intolérance qui, sur les campus, dans les milieux artistiques et dans les médias, empêche de s’exprimer toute personne soupçonnée non seulement de racisme, mais encore d’homophobie, de transphobie ou simplement de manque d’enthousiasme inconditionnel pour le mariage, la PMA et la GPA pour tou(te)s, l’avortement, le suicide assisté, l’euthanasie, etc. C’est ce dont ont été victimes entre autres la philosophe Sylviane Agacinski chez nous et dans l’univers anglo-saxon J.K. Rowling, la créatrice de Harry Potter.
Contradictions
Il y a là une contradiction analogue à celle des colonisateurs de la "modernité" des deux derniers siècles : ils voulaient exporter leurs principes, qu’ils proclamaient universels, et ils piétinaient les "valeurs" censées fonder leur supériorité : droits de l’homme, libertés, démocratie — sans parler de la charité chrétienne… Une inconséquence du même ordre fait qu’aujourd’hui, comme l’a relevé le pape François dans son discours à la citadelle de Québec le 27 juillet dernier, c’est "au nom de la protection de la diversité" que l’ "on finit par effacer le sens de toute identité, avec le risque de faire taire les positions qui défendent une idée respectueuse et équilibrée des différentes sensibilités".
C’est en ce sens que la "bien-pensance" qui promeut farouchement la légitimité de toutes les différences en vient à se renier. Elle "impose des modèles culturels préétablis" qui "négligent la vie concrète des personnes" et "étouffent l’attachement naturel aux valeurs des peuples, en essayant d’en déraciner les traditions, l’histoire et les liens religieux". Pour le dire un peu brutalement, la plupart des anciens "colonisés" ont du mal à se rallier au libéralisme (spécialement mais pas seulement sexuel) qui prévaut désormais en Occident : voir la résistance des Africains de la communion anglicane aux unions homosexuelles et au clergé gay, surtout quand cela va jusqu’à des épiscopesses lesbiennes.
Big Brother toujours là
Il y a là, a dit le Pape, "une mode culturelle qui uniformise sur la base exclusive des « droits et besoins de certains individus". Ce qui revient à réprimer toute autre sensibilité et à "déraciner les traditions, l’histoire et les liens religieux" des populations, mais aussi à "évaluer le passé uniquement sur la base de certaines catégories actuelles". C’est exactement la cancel culture, cette "culture de l’annulation" qui amène à éliminer (par exemple en abattant des statues de complices de l’esclavagisme) tout trace historique de ce qui est réprouvé de nos jours.
Le Saint-Père a été encore plus explicite dans son discours au corps diplomatique en janvier dernier : "On assiste à l’élaboration d'une pensée unique — dangereuse —, contrainte à nier l'histoire, ou pire encore, à la réécrire sur la base de catégories contemporaines, alors que toute situation historique doit être interprétée selon l'herméneutique de l'époque et non selon l’herméneutique actuelle." George Orwell a bien montré il y a plus de soixante-dix ans dans 1984 que la dictature de Big Brother repose sur la perpétuelle élimination de tout ce qui, dans le passé, n’est pas conforme à l’ "orthodoxie" (d’ailleurs fluctuante) du moment.
Catholicité contre idéologies
Pour le pape François, au contraire, "il convient de retrouver le sens de notre identité commune en tant qu’unique famille humaine", de manière à "être véritablement inclusifs", sans mépriser aucune "sensibilité" ni oublier les "valeurs permanentes, […] en particulier le droit à la vie, de la conception jusqu’à la fin naturelle, et le droit à la liberté religieuse". Le discours de Québec n’est donc pas un contrepoids correctif aux déclarations de repentance pour les torts causés aux "premières nations" d’Amérique. Le fil conducteur est la dénonciation du colonialisme à travers ses mutations au fil du temps. Et positivement, l’idéal proposé est le bien commun, la communion ou la fraternité sans amnésie ni indifférenciation — ce qui tient en un seul mot : catholicité. Il ne devrait être étonnant ni que le Pape en soit le premier défenseur, ni qu’il dérange aussi bien "à gauche" qu’ "à droite".