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Qu’est-il de plus logique pour un jeune allergique à la tiédeur — en commençant par la sienne — que de partir sur la route, pour se prouver avoir quelque valeur ou pour la révéler ? Avec Une année sur la route (éditions des Équateurs, 2022), Samuel Adrian nous délivre un compte-rendu de tour du monde alternant élégie anti-moderne, célébration de l’effort et du dénuement, regards lucides sur soi, désillusions et quête spirituelle, références littéraires et révélations au travers de l’âpre quotidien. Le programme semble courant, banal. Mais la plume ne l’est pas, ni les réflexions amenées avec finesse. La jeunesse a aussi besoin de s’approprier le monde en refusant celui qui arrive et de laisser filer celui qui a été. Et il est bon d’en voir des représentants.
Samuel et Xavier sont de ces jeunes gaillards bien éduqués, aux aspirations élevées, ayant lu tous les livres — sans avoir encore la chair triste qui va avec (selon le mot de Mallarmé) — et désireux d’incarner le visage qu’ils prêtent à leur âme. Ce sera, pour eux, le voyage de la révélation, celui de l’amitié et, pour Samuel, celui de la découverte plus profonde, et plus vraie, de lui-même. De la Russie aux États-Unis, en passant entre autres par le Japon, le road-trip est assez conséquent. Une année sur la route est le deuxième livre du jeune auteur, après Le syndrome de Tom Sawyer (2019). Veiné comme Sylvain Tesson, d’un sang noir de mélancolique et bleu d’idéaliste, il enchante par son humour, son humilité et ses harangues éminemment littéraires. Il nous prouve ici qu’il est bien des sortes d’aventures, qui ne nécessitent pas forcément la prouesse ou le voyage : l’aventure intérieure.
User son regard ou l’éclairer enfin?
À bord d’une 204 usée et pleine de livres, on fuit mieux la modernité. C’est, à en croire ces deux têtes ivres de vent et d’espace, l’antienne qui les décide à partir et, enfin, à vivre l’aventure. La dégustation de bons morceaux de littérature remplace la curiosité de savoir par où ils sont passés, ce qu’ils ont bu, mangé ou encore entendu. Fuir Paris ne promet pourtant pas toujours de rencontrer des muses, ni le héros en soi. Mais avoir le nez au vent, la conscience claire d’être enfin sur la route, qui ne l’a pas rêvé? L’amusant dans la manière de conter de Samuel est sa contrariété ambivalente : voyager est une vanité mais aussi une nécessité. Il veut se faire chevalier, mais l’épreuve n’est jamais assez ou pas celle qu’il espérait. Il balance ainsi de l’une à l’autre croyance, au fil des rencontres, des désappointements face à la laideur de certaines villes qui devaient promettre l’extase, des rencontres qui devaient renouveler ou valider le rêve et l’idéal. Il sait croquer avec justesse les personnages et les lieux, dans cet ouvrage découpé selon l’un ou l’autre des sujets. Parfois, une rencontre est la porte d’entrée pour raconter la ville ou le pays, d’autres fois, c’est l’inverse. Sa culture nous ouvre à des réflexions pertinentes, sa finesse à un regard élevé, pourtant souvent désabusé.
Voyager, oui, mais avec mille questions en tête, mille réflexions à devoir mener au diapason du voyage. Deux rencontres sont particulièrement touchantes. Celle d’un prêtre français assez âgé, vivant depuis soixante ans au Japon où il accueille de jeunes Japonais, marginaux et perdus. Et celle de Malia, aux États-Unis, femme virile et tendre à la fois, "mère universelle" et "sans enfants" qui prend soin de jeunes femmes toxicomanes ou alcooliques d’une main de fer. Les vrais "anciens" ne sont pas seulement dans les livres, et même les brebis recueillies par ces deux êtres dévoués aux autres ont de quoi lui fournir un enseignement. On accepte difficilement la faiblesse chez les autres quand on se fuit soi-même.
Il ressemble parfois à un jeune chêne qui aurait voyagé pour s’assurer que les vieux chênes existent, valent et tiennent.
Mais le jeune écrivain tient à refuser la bassesse en tout et en tous, à commencer par lui-même. Bercé entre le passé et son propre avenir, il commence par rendre grâce pour l’héritage familial à qui il doit une partie de lui-même, la transmission de la foi (qu’il boude souvent avec fierté) et un horizon finalement bienheureux. Il ressemble parfois à un jeune chêne qui aurait voyagé pour s’assurer que les vieux chênes existent, valent et tiennent, ou à défaut d’espérer en devenir un, avant de retrouver enfin le sol qui abrite ses racines. Sans s’en rendre compte, il se confronte aux erreurs et obstacles qui ont poussé les sages à le devenir, les Anciens qu’il admire à fonder leurs morales, les chevaliers à embrasser une mission pour élever leur vie. Solitaire, c’est au cœur de son amitié indéfectible avec Xavier qu’il trouve quelque chose, une forme de réponse.
Ce n’est pas la joie du voyage qu’il voulait. C’était plutôt mesurer ce que vaut son époque, son pays, son âme, en les frottant ici et là, à ses fantasmes et à ses croix, et puis à ceux des autres. Mieux, sans son cher cousin, qu’il admire, il n’aurait sans doute pas quitté l’homme ancien qu’il était, l’homme au regard voilé, et presque vidé, vivant bourgeoisement à Saint-Cloud et fustigeant l’attitude de la plupart des hommes. Il n’aurait pas trouvé, non plus, l’objet de son voyage. La foi? Celle qui murmure que la solution, c’est soi-même pas les autres. Donc, Samuel se dit à mesure qu’il cherche sa voie et sa voix. La lecture d’Une année sur la route nous rassure en tout cas sur l’avenir de la jeunesse, dont la quête sincère et belle tend à disparaître des ouvrages contemporains et dont nous avons pourtant bien besoin pour nous tenir dans cette époque. Et sur l’avenir de la littérature, aussi. Mais Samuel n’ayant que 27 ans, attendons encore — il n’avait que 25 ans au moment du voyage. On n’est pas encore assez sérieux quand on a 27 ans.
Pratique :