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Il y a des portes dont il faut se méfier. Le 7 avril 1498, le roi Charles VIII est au Château d’Amboise, et il veut aller voir un match de jeu de paume qui se joue dans les fossés. Pour s’y rendre, il emprunte une galerie à grands pas, et il ne remarque pas que le linteau en pierre de la porte est trop bas : il s’y heurte violemment la tête. Il se relève mais, quelques heures plus tard, il s’écroule et ne s’en remettra pas. Il meurt ainsi, assassiné par une porte trop petite pour lui. On peut imaginer que la dernière idée qui a pu passer par la tête de Charles VIII a été : "Mais pourquoi donc a-t-on construit une porte si basse ?" Et nous-mêmes, en écoutant l’évangile, nous avons pu nous demander : "Mais pourquoi donc Dieu a-t-il fait si étroite la porte du paradis ?" Dieu fait les portes comme il l’entend, à la taille qu’il désire. Pourquoi une telle contrainte pour accéder au lieu du repos et de la joie éternelle ?
"Luttez pour entrer"
Mais il y a pire encore. Cette porte n’est pas seulement étroite, c’est une porte qui est aussi fermée, à une heure arbitraire, et l’on n’y entre pas sans montrer patte blanche. Le patron n’est pas commode, il ne reçoit que ses familiers et il met systématiquement les autres à la porte. Tout cela n’est pas rassurant, et contredit notre idée habituelle d’un Dieu bon et généreux, père prodigue et miséricordieux, accueillant les bras ouverts quiconque vient à sa rencontre. Pourquoi donc Jésus nous fait-il peur en décrivant la porte du Paradis comme un guichet rétréci contre lequel on se casse le nez ? Cependant, parler de la porte n’a pas de sens si l’on oublie le verbe à l’impératif qui l’accompagne : "Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite" (Lc 13, 24). L’étroitesse de la porte ne doit pas produire en nous la résignation, mais l’énergie du combattant qui tient bon face à l’adversité, et qui désire tellement passer par la porte resserrée qu’il va accepter de se dépouiller, de se contorsionner, de tout donner pour y parvenir. Si la porte n’est pas faite à sa mesure, c’est lui prendra la mesure de la porte, c’est lui qui prendra les moyens de son désir.
Accepter la confrontation
Le verbe qui parle de "lutter" pour entrer par la porte étroite se dit en grec agonizomai, et rien qu’à l’entendre on devine ce qu’il suggère. C’est une agonie qui mène vers la vie dont il est question : une lutte pour nous convertir en vérité, pour que notre vie devienne plus cohérente, plus juste. Le jeu en vaut la chandelle, disent à l’unisson Jésus et saint Paul, avec une image qui parlera à tout le monde : pour se convertir, il faut accepter la confrontation à ce qui n’est pas encore au point dans notre vie, comme le fils que son père éduque : "Quand on vient de recevoir une leçon, on n’éprouve pas de la joie mais plutôt de la tristesse. Mais plus tard, quand on s’est repris grâce à la leçon, celle-ci produit un fruit de paix et de justice "(He 12, 11).
L’amour vrai de Jésus se traduit en paroles qui encouragent et qui secouent.
Comme je sens qu’il y a des parents qui regardent leurs enfants avec un grand sourire, comme pour dire "Tu vois bien que j’avais raison de te gronder !", je précise… : saint Paul ne se fait pas le chantre des châtiments corporels, des fessées et des desserts interdits. Sans doute, au cours des siècles, l’expression "Qui aime bien châtie bien" a pu être galvaudée et détournée. On a pu la répéter en donnant des coups de martinet sans beaucoup d’amour. Ce qui est pourtant juste, c’est que le véritable amour est exigeant, qu’il impose de dire la vérité et que cela peut avoir quelque chose de douloureux. L’amour vrai de Jésus se traduit en paroles qui encouragent et qui secouent. Sans doute bien de ses interlocuteurs, au long de l’évangile, à commencer par le jeune homme riche, ont pu prendre telle ou telle réponse du Maître d’abord comme une claque, avant, ensuite, d’en saisir la force, et la paix, et la joie.
À la bonne mesure
"Qui aime bien châtie bien" ne signifie donc pas "Qui aime beaucoup châtie beaucoup", mais "Qui aime de façon juste châtie de façon juste", à la bonne mesure, celle qui permettra et suscitera la conversion, la joie et ultimement la gratitude. Bien châtier, c’est tout autant encourager que dénoncer le mal. C’est encourager à lutter contre ses tendances mauvaises, à lutter pour obtenir un résultat qui rend plus heureux et plus libre. Ça vaut le coup de lutter !
J’ai commencé par une anecdote historique, je finis par une anecdote historique. Il y a soixante-dix-huit ans, le 24 août 1944 dans l’après-midi, le général Leclerc faisait parvenir un télégramme aux résistants qui luttaient pour la libération de Paris, disant laconiquement : "Tenez bon, nous arrivons." Quatre mots tout simples, mais assez puissants pour soutenir l’énergie de ceux qui défendaient leur avenir à travers les portes étroites du moment. L’amour exigeant de Dieu doit devenir le nôtre, pour que nous ne vivotions pas jusqu’à la porte du ciel, mais pour que notre vie soit belle, libre et joyeuse. Nous arrivons vers le Christ, qui est la Porte : tenez bon !