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Le Plateau d’Assy, en Haute-Savoie, c’est d’abord une histoire humaine. 2.500 lits d’hôpitaux émergent après la fin de la Première Guerre mondiale sur ce qui n’était que des alpages. La raison ? L’altitude, le bon air et le soleil, seuls moyens alors existant pour lutter contre la tuberculose ravageant la population. Au chevet des malades, les aumôniers sont présents : parmi eux, le chanoine Jean Devémy, qui ne désire à l’origine qu’une église "simple et honnête" pour accueillir les tuberculeux, leurs familles et les soignants.
Mais ce projet se heurte à l’Histoire et à une rencontre bouleversante entre le chanoine et le père dominicain et artiste Marie-Alain Couturier. Convaincu du potentiel de chaque artiste en tant qu’ « inspiré" quelles que soient ses convictions politiques ou religieuses, Marie-Alain Couturier souhaite faire appel aux meilleurs artistes et artisans de son temps pour défendre une décoration humaniste qui apporte réconfort et soutien à chaque habitant du Plateau, pour rejoindre chaque personne dans sa souffrance. Le projet traverse les événements de l’époque, et s’enrichit des expériences et des traumatismes de chaque artiste. Jean Lurçat, athée et anticlérical, représente sur sa monumentale tapisserie de l’Apocalypse le combat du Bien et du Mal, en n’omettant pas de faire figurer les poumons noircis d’un tuberculeux. Quant au vitrail de saint Raphaël ("Dieu qui guérit"), son visage ferait référence à celui de son auteur, le père Couturier, atteint lui aussi de maux respiratoires.
Le véritable miracle d’Assy ne repose pas sur la guérison des malades, mais sur l’extraordinaire réunion d’artistes aux sensibilités si diverses afin, comme l’exprime Chaîm Lipchitz au dos de sa Vierge de Liesse, "que l’Esprit règne".
La deuxième Guerre Mondiale aurait pu entraver le projet, mais il n’en est rien. Pierre Bonnard avouera, durant les bombardements, s’être senti protégé dans sa cave par son saint François de Sales, en cours de réalisation pour un autel latéral. Quant à Germaine Richier, catholique convaincue, elle propose pour le maître-autel un Christ en croix qui exprime ses interrogations sur l’Homme après la découverte des camps de concentration. Écrire un poème après Auschwitz est-il barbare, comme l’écrit alors Adorno ?
Cette vision qu’elle puise à une source biblique, le livre d’Isaïe et son serviteur souffrant (Is, 52, 14), choque cependant une frange catholique encore peu habituée à ce renouveau du langage artistique. L'œuvre passe ainsi vingt ans dans la chapelle mortuaire, quasiment à l’index, éclairée seulement par le visage de la sainte Véronique de Rouault, la Joconde d’Assy. L’affaire prend une tournure mondiale, même le Vatican est tenu de se prononcer. Mgr Costantini n’hésite pas à parler de "scandale pour la piété des fidèles". Ce n’est cependant pas l’avis des malades du Plateau, qui y voient la Compassion même.
Malgré la présence de tous ces artistes, le Plateau d’Assy est resté un lieu de foi, mais jusqu’à quand ? Erigé après 1905 et donc propriété du diocèse, ce joyau de l’art sacré moderne est aujourd’hui fragilisé par le manque de moyens financiers. Il peut compter sur une petite équipe de bénévoles extrêmement investie, toujours à la recherche de nouvelles idées, tel le festival des Musicales d’Assy, qui accueille chaque année durant l’été de grands noms de la musique classique. La communauté locale est consciente de son devoir de transmettre l’histoire de cette petite église des malades isolés, qui fut sous l’égide d’un Dominicain visionnaire, un haut lieu d’innovation pour l’art sacré.