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Étoile du dessin de presse et des albums d’illustration humoristique, observateur hors pair de la société, dans ses petits et grands faits d’armes — surtout les petits —, psychologue de la nature humaine et grand amoureux des détails, Jean-Jacques Sempé (1932-2022) a dessiné le monde pour nous le faire mieux voir en riant. Décédé à l’âge de 89 ans le 11 août dernier à Draguignan (Var), ses obsèques ont lieu ce vendredi 19 août en l’église Saint-Germain-des-Prés (Paris) à 14h.
Après quelques années dans l’armée où sa rêverie fait tâche, le dessin fera de ce défaut son avenir et sa grande qualité. Ayant travaillé pour Paris Match, L’Express, Le Figaro ou encore le Nouvel Observateur, ses dessins s’arrachent vite pour égayer les pages des meilleures rédactions. En 1960 naît Le Petit Nicolas, avec la complicité de Goscinny. Son rêve d’adolescent, lui, ne se réalise qu’en 1978 : travailler pour The New-Yorker. 101 couvertures du magazine américain sont de sa main française, parfois belles comme des tableaux, de la douce aquarelle au dessin.
De la tendresse, du souffle, des églises
On lui doit aussi, bientôt, pas loin d’un album par an dès 1962. Longue série débutée avec Rien n’est simple suivi de Tout se complique, où ses fins traits de crayons couplés à quelques lignes bien senties, de la saillie au soliloque, parviennent toujours à déclencher le rire. Humour décalé, bon enfant et courtois, rien ne confine jamais à la moquerie ou au vulgaire chez lui. Souvent tendres, parfois désolés, ses dessins étaient bons, au détriment du cynisme ambiant. Une bonne phrase pour accompagner un dessin et Sempé pouvait faire sentir toute la drôlerie d’une scène. Parfois, le dessin suffisait. Il peignait les chats, les musiciens, le jazz ; il croquait les appartements bourgeois, les psys, les solitaires ; il donnait son regard à méditer, étant souvent lui-même sa propre source d’inspiration. Avec lui, être humain devenait plus joli.
Enfin, comme sa consœur Claire Bretécher, il a su, en quelques mots et coups de crayon, dépeindre les atours de la foi. Nous ne saurons jamais si ses dessins de paroissiennes soignées auront fait revenir quelques brebis dans les églises, lui qui les dessinait toujours désertes. Quoi qu’il en soit, il aimait à représenter ces dames, de son œil amusé, dans le silence des églises qui entendaient bien des choses. Cette prière, par exemple : "Comme vous le savez, le mot péché vient du latin "peccatum" qui a, selon toute vraisemblance, donné peccadille, mot que je préfèrerais utiliser dorénavant".
Parmi ce florilège de paroissiennes, peut-être pas toujours exaucées, mais au charme certain : ce dessin sur lequel une femme quitte tout juste une église, légère, heureuse, prête de s’envoler ; celui où une femme dépose un cierge drôlement tordu vers le haut, dans le recoin dédié d’une église, et de dire : "J’ai acheté ça dans un magasin rigolo, mais c’est uniquement pour que cette fois on n’oublie pas ma requête" ; mais encore, ce groupe de fidèles amassé près d’une statue, et leur prière : "Nous voudrions que les choses changent, mais que d’une certaine façon elles restent aussi les mêmes. Ce qui, compte tenu de la complexité de ce que vous avez créé, l’incohérence même, ne devrait pas présenter des difficultés insurmontables".
Son tout dernier album, Garder le cap (2020), représentait encore des églises vides, soulignant l’intimité de ses personnages avec Dieu, en plus de théâtres anciens et de galeries d’art, lieux chers à sa mélancolie. Le cap est tout tracé, on ira, en pensée ou pour lui rendre hommage, jouer du saxophone dans une église ou s’y mettre à genoux, heureux comme un personnage de Sempé de se contenter de choses si simples et, revenant vite à nos contrariétés, on sortirait, plein de mélancolie, de questions et d’espoirs.