Néanmoins, il est vrai que le smartphone est devenu, en l'espace de quelques années, le cadeau rituel d’entrée en 6ème, tel un sésame ouvrant les portes du collège... en même temps que celles d’Internet et des réseaux sociaux. D’après l’étude, l'initiative vient de manière générale directement des parents. "Seuls 11% des parents disent avoir été obligés de céder à une demande insistante pour le smartphone", note l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique.
1Le côté pratique
Indiscutablement, c’est le côté "pratique" qui séduit bon nombre de parents. "Mon fils va prendre le train et faire seul ses trajets pour le collège", explique Carine, infirmière en région parisienne. "Ce sera beaucoup plus simple de communiquer s’il a son propre téléphone ! Il peut y avoir des problèmes de transport, des changements d’horaires au collège, je ne suis pas toujours à la maison, avec un téléphone, c’est plus pratique". Une raison qui ne convainc pas tous les parents, désireux de repousser l’accès au smartphone au lycée par exemple. C’est le cas de Pierre, père de deux enfants de 11 et 13 ans : "Ils vont et viennent sans téléphone. Ils peuvent appeler avec le fixe une fois rentrés à la maison si besoin. Nous avons fixé des horaires assez stricts sur leur heure de retour et ils s’y tiennent. S’il y a un imprévu, ils trouvent toujours un moyen pour nous prévenir, par l’école ou le téléphone d’un parent." Enfin, d’autres estiment qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un iPhone avec la 5G pour passer un coup de fil. Ils équipent donc leur enfant d’un vieux téléphone neuf touches sans connexion à Internet.
Le côté pratique, c’est aussi ne pas devoir partager son propre téléphone avec son enfant. Caroline, mère de trois enfants, a équipé son aînée d’un smartphone car cela devenait trop compliqué de prêter son téléphone à chaque sollicitation : "A chaque visio avec ses copines, je devais lui passer mon téléphone. Ça durait des heures ! Et je recevais tous les jours des notifications sur le groupe What’sApp de sa classe. Désormais, c’est elle qui gère". D’autres parents préfèrent au contraire garder un œil sur les réseaux sociaux et filtrer eux-mêmes, quitte à s’immiscer dans les conversations lorsqu’elles dérapent. Claire témoigne avoir réagi une fois sur le groupe WhatsApp de la classe de son fils, suite à des messages vulgaires. "Quand ils ont réalisé qu’il y avait un parent dans la boucle, ça les a tout de suite calmés !" affirme-t-elle. "Je ne suis pas dupe, ils vont créer un autre groupe, mais au moins, mon fils ne sera pas dedans".
Un élément important dans la décision d'équiper ou non son enfant est la prise en compte de sa maturité. Un enfant de 11 ans est-il suffisamment construit pour visualiser tout types de contenus? Suffisamment fort pour faire face à des remarques désobligeantes ou des photos humiliantes sans en être profondément blessé? Suffisamment mature pour savoir discerner une invitation malveillante sur les réseaux ? Suffisamment formé et éduqué au monde virtuel pour éviter toutes formes de dérives et d'addiction ?
2Le besoin de sécurité
Le smartphone possède aussi un côté rassurant. A tout moment, l’enfant reste joignable et peut appeler en cas de besoin. Certains parents vont même jusqu’à tracer leur enfant par GPS, pour savoir s’il est bien arrivé à l’école et quel chemin il a emprunté. "Ça me rassure !", s’exclame Marina, cadre dans la banque. "Je pars tôt et rentre tard, et du bureau, je peux suivre ma fille en temps réel et être sûre qu’elle n’a pas de problème." D’autres font le pari de la confiance, en leur enfant et dans la société. "Le risque zéro n’existe pas, avec ou sans téléphone", estime Pierre, 40 ans, militaire. "Et puis les rues ne sont pas peuplées uniquement de psychopathes ! Je me dis que s’ils ont un vrai problème, ils trouveront le moyen de me joindre. Sinon, ils trouveront une solution par eux-mêmes. C’est ça qui les fait vraiment grandir, plutôt que d’appeler papa-maman." Une attitude qui demande il est vrai un certain lâcher prise ainsi que l’abandon de l’illusion de pouvoir tout contrôler.
3La peur de l’exclusion
Un enfant va-t-il être exclu du groupe parce qu’il n’a pas de smartphone ? Dans un sens, oui, il ne sera pas au courant du dernier tube, ne rira pas à la bonne blague du boute-en-train de la classe, ne sera pas sur Snap ou Insta, et ne verra pas tout de suite les photos de la soirée d’anniversaire de Machin. Cela est-il indispensable à vos yeux ? A ses yeux ? Les réseaux sociaux sont en effet "the place to be" et les pré-ados y discutent à toute heure du jour et de la nuit. Par peur de l’exclusion, certains parents cèdent, bien souvent en se remémorant leur expérience personnelle. "J’ai tellement souffert de ne pas avoir de télévision quand j’étais jeune que je ne veux pas imposer cela à mon enfant, cette sensation d’être toujours à côté de la plaque, en marge du groupe et jamais au courant de rien", confie Tania.
Un argument qui pour d’autres ne fait pas le poids dans la balance bénéfices – risques du smartphone. "Les parents cèdent souvent par crainte de l’exclusion", affirme Valérie Halfon, auteur de Tout le monde en a un, sauf moi ! (Albin Michel). "Pourtant, il est temps d’arrêter d’avoir peur de la différence. C’est en développant son individualité que notre enfant pourra avoir confiance en lui, pas en suivant aveuglément le troupeau", assure-t-elle. Caroline, institutrice, a quant à elle expliqué à sa fille que les réseaux sociaux étaient interdits avant l’âge de 13 ans... "Une façon de valider doublement l'interdiction, pas question d’outrepasser la loi ! C'est déjà deux ans de gagnés !"
4La crainte d’en faire des handicapés du numérique
Un autre élément qui entre en ligne de compte dans la réflexion de donner ou non un smartphone est la peur de faire de son enfant un illectronique s’il ne s’initie pas tôt aux méandres de la toile. "Il faut vivre avec son temps ! A 12 ans, c’est important qu’un enfant apprenne à surfer sur Internet, à chercher des informations, à gérer ses mails. C’est ce qui l’attend dans le futur. Plus il apprend tôt, plus il sera à l’aise", affirme pour sa part Jean-Pierre, 40 ans, ingénieur informatique, avec l’idée de prendre le train de la révolution numérique en marche pour ne pas rester sur le quai. Un avis sujet à controverse : "Comme si "scroller" sur un fil d’actus ou trouver une vidéo sur YouTube allait faire d’un enfant un futur programmateur informatique de génie", rétorque Valérie Halfon.
5La question de l’ennui
Les écrans ont cette capacité exceptionnelle à capter l’attention et donc à occuper pendant des heures. Certains parents voient un certain avantage aux "téléphones baby-sitters". Nul besoin de s’escrimer à proposer des sorties ou à faire des jeux, et pas de crainte que leur enfant s’ennuie pendant qu’ils sont au travail. Certes. Une question qui est un non-sujet pour Caroline : "Je pense que les enfants doivent apprendre à gérer leur temps libre, en faisant preuve de créativité, d’imagination. Ce n’est pas grave s’ils s’ennuient ! La meilleure chose à proposer, c’est notre disponibilité, notre écoute, notre réelle présence… loin de l’écran de notre propre téléphone !"