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Les campagnes électorales que nous avons vécues sont souvent des batailles de chiffres, de dépenses, de recettes, d’impôts, de besoins. Il est compliqué, voire impossible au simple citoyen, de savoir qui a raison, de projeter des recettes ou l’effet des dépenses, de raisonnablement faire des arbitrages entre les dépenses d’éducation et de santé, d’équipements et de défense, de culture et de justice. Les milliards d’euros rentrent et sortent pendant les grands débats et nous, nous pensons au prix de la baguette et du litre d’essence. Ce décalage entre l’argent quotidien et les dépenses de l’État contribue aussi à la désaffection démocratique : trop technique, trop lointain, un peu irréel. Les chiffres donnent le tournis à notre petite échelle et avant de parler il faudrait parfois s’arrêter et regarder, regarder ce que nous avons avant de regarder ce que nous n’avons pas.
Un nuage de richesses et de services
Nous, Français, sommes sur un nuage, un nuage de richesses et de services. Si je remonte la petite rue dans laquelle j’habite et compte les services qu’elle m’apporte, j’arriverai facilement à des millions d’euros. C’est une petite rue pavée de soixante mètres de long sous laquelle courent les arrivées d’eau, de gaz, d’électricité, la fibre, le téléphone et l’Internet. Plus bas encore, roulent le métro et le RER. La rue est éclairée la nuit, nettoyée le jour. Un double système de canalisations pour les eaux usées et les eaux pluviales fait le tri et chaque jour, les poubelles sont ramassées au bout de la rue. Des panneaux de signalisation, de circulation, de noms sont postés à chaque angle. En cas de problème, les forces de police ou les pompiers interviennent rapidement. Si j’ai un malaise dans cette rue, je suis conduit gratuitement à l’hôpital où je serai soigné gratuitement sans que l’on ne me demande rien, aussi longtemps qu’il le faudra.
Nous sommes insatiables : tout est toujours trop cher, trop loin, pas assez et pas assez bien.
Au-dessus de cette rue, volent chaque jour des satellites qui scrutent, informent, préviennent et défendent. Un capteur mesure la qualité de l’air en temps réel. Nul pays sur terre n’osera nous attaquer car notre défense nationale et la dissuasion nucléaire nous mettent à l’abri de la guerre. Évidemment, cette rue est rattachée à une crèche, une école primaire, un collège et un lycée, pour la scolarisation des enfants, laquelle est gratuite. Cette rue est aussi rattachée à un bureau de vote, à une mairie, des pharmacies, un centre des impôts, une poste et un peu plus loin des arrêts de bus, des stations de taxis, des gares et des aéroports. Un immense marché national permet d’achalander quotidiennement tous les commerces à proximité. Il y a même une église à côté, mais vous vous en doutiez !
Nous sommes insatiables
Je sais que je suis parisien et que la concentration urbaine apporte une concentration de services là où en province, les services sont plus lointains et moins fournis, et de moins en moins. Mais tout de même, nous sommes dans un pays de cocagne et nous passons notre temps à râler. Je vous conseille de prendre un temps de prière devant un site Internet tout à la fois intéressant et effrayant, sur l’état du monde en temps réel : Worldometers.info Là encore les chiffres donnent le tournis. Quelques-uns au hasard : 5 millions de personnes sont mortes de faim dans le monde cette année et 811 millions de personnes sont obèses. 781 millions de personnes n’ont pas accès à un point d’eau potable et 184 milliards de dollars ont été dépensés pour des drogues sur terre. Derrière ces chiffres, il y a des visages, des personnes comme nous, ni plus dignes ni moins dignes. Face à ces chiffres, je ne prône pas un « Tu es riche, tais-toi ! » Je n’essaye pas de culpabiliser pour le plaisir ou favoriser une soumission. Je dis juste que nous sommes insatiables : tout est toujours trop cher, trop loin, pas assez et pas assez bien.
C’est la fraternité qui rend heureux, pas la sobriété, mais la fraternité nécessite une forme de sobriété.
S’il nous faut améliorer pour le bien de tous les services et les moyens, réfléchir à une répartition plus juste des richesses, insister sur des urgences qui ne sont pas assez prises en compte, ne peut-on pas, de temps en temps, nous rendre compte du réel et savoir réagir de façon proportionnée compte tenu des richesses qui sont les nôtres ? Ne pouvons-nous pas aussi vivre une sobriété dans l’usage de ces biens et de ces services que nous considérons comme des dus alors qu’ils sont le fruit du travail de tous et pas simplement du nôtre ? Il n’y a pas de vertu collective : il n’y a que des vertus individuelles qui font nombre et s’il y a bien une urgence aujourd’hui, elle n’est pas politique, sociale, ou écologique : elle est la nécessité de vivre une fraternité et donc une sobriété qui nous fera poser des choix quotidiens en arrêtant de ne revendiquer que pour nous et notre confort individuel en pensant au bien commun. C’est la fraternité qui rend heureux, pas la sobriété, mais la fraternité nécessite une forme de sobriété.