Récemment, le pape François a fait part de son désir d’accompagner de manière plus soutenue les personnes divorcées et remariées civilement. Le père Patrick Langue sj, formateur et accompagnateur, décrypte pour Aleteia les enjeux d’un tel accompagnement.
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A l’occasion de la publication d’un guide pastoral pour accompagner les jeunes couples, publié le 15 juin par le Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, le pape François a émis le souhait qu’un autre document soit rédigé "le plus rapidement possible" afin de fournir des méthodes pastorales concrètes pour l’accompagnement des personnes divorcées remariées. L’Église, assure le Pape, veut être proche de ces couples "afin qu’ils ne se sentent pas abandonnés et puissent trouver dans les communautés des lieux d’accueil accessibles et fraternels, une aide au discernement et à la participation".
Une préoccupation qui n’est pas récente et que le Pape a développée dans le chapitre VIII de son encyclique Amoris Laetitia. La question de l’accès aux sacrements, que le Pape envisage non comme une règle générale, mais comme le fruit d’un discernement au cas par cas, demeure une pierre d’achoppement pour bon nombre de fidèles. En quoi consiste ce discernement au cas par cas ? Quels en sont les enjeux ? Le père Patrick Langue, prêtre jésuite au service du diocèse de Versailles, accompagne depuis de nombreuses années des personnes divorcées remariées et forment des accompagnateurs partout en France. Auteur du livre Divorcés remariés : de l’exclusion à l’intégration (Fidélité), il donne un éclairage sur cet "itinéraire d’accompagnement et de discernement" dont l'objectif est d'orienter ces fidèles "à la prise de conscience de leur situation devant Dieu" (Amoris Laetitia).
Aleteia : Un des souhaits du Pape réside dans l’accompagnement des personnes divorcées et remariées. Il l’a évoqué dans Amoris Laetitia il y a six ans, puis récemment à l’occasion de la sortie d’un manuel pour les jeunes couples. Y a-t-il, selon vous, un manque d’accompagnement pastoral des divorcés remariés? Père Patrick Langue : Il y a certainement un manque d’accompagnement parce qu’en France, et sans doute aussi dans d’autres pays, l’épiscopat a été un peu pris au dépourvu dans la mise en œuvre d’Amoris Laetitia, pour la simple raison qu’il n’y avait pas, ou peu, d’accompagnateurs formés. Faute d’accompagnateurs formés, l’appel aux divorcés remariés a très peu été fait ! La première étape consiste donc à former des accompagnateurs. Cela demande un complément de formation par rapport à un accompagnement classique : l’accompagnateur doit apprendre à écouter, à aider les personnes divorcées remariées à faire une relecture de leur histoire. Cela ne s’improvise pas ! Avec l’expérience, je me rends compte qu’on a rarement l’attitude juste au départ : soit on est trop laxiste et ce n’est pas à l'avantage des personnes qui ont un chemin spirituel à faire, soit on est trop rigide et donc peu enclin à l’écoute de leur histoire personnelle. En outre, il s'agit d'un accompagnement sur une durée assez longue, parfois des années, pour comprendre ce qui s’est passé dans leur vie et leur laisser le temps de parcourir un chemin spirituel.
L’accès aux sacrements est une question délicate. D’une part, le Catéchisme de l’Eglise catholique assure que les divorcés remariés se trouvent en situation d’adultère et ne peuvent donc pas avoir accès aux sacrements, d’autre part, le pape François évoque "certains cas" où ils pourraient participer à la vie sacramentelle. En tant qu’accompagnateur, comment faites-vous pour discerner ? Le droit canon a un jugement extérieur qui ne prend pas en compte l’histoire des personnes. C’est à cette impasse que le Pape François a répondu avec une très grande intelligence spirituelle. Le droit canon enferme dans la même situation les victimes et les fautifs, ceux qui subissent un divorce et ceux qui en sont à l'initiative. Il met sur le même plan, du point de vue canonique, une femme délaissée par un époux volage avec ses quatre enfants à charge et celle qui a séduit un homme et abandonné ses enfants. Il y a quelque chose d’inique. Cela ne signifie pas qu’il ne doit pas y avoir de droit canonique, mais il doit y avoir un accueil des personnes qui ne soit pas de l’ordre du jugement mais plutôt de la compréhension de leur histoire. "Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés" (Lc 6, 37) dit le Seigneur. Ce n’est pas tomber dans le laxisme. Mais c’est aider au discernement, au cas par cas, car chaque personne a une histoire unique. C’est inviter la personne divorcée et remariée à se mettre à l’écoute de l’Esprit saint, de la Parole de Dieu, à relire son histoire, à y reconnaître le péché et la grâce, à se découvrir ou non en amitié avec le Seigneur. De nombreuses personnes souffrent à cause d’une situation conjugale complexe après un divorce et ce n’est pas possible de les ignorer. Le Pape a en ce sens ouvert un chemin de vie.
Comment les aidez-vous à avancer dans ce cheminement spirituel ? Et quel en est l’enjeu ? Au fur et à mesure des rencontres, qui ont lieu environ tous les mois, je suis témoin du chemin parcouru par une personne divorcée remariée et qui se traduit en actes : une demande de pardon à l’ex-époux, la reconnaissance de sa propre part de responsabilité, un pardon accordé, une parole de vérité dite aux enfants, un dialogue apaisé entre les ex-conjoints… Je vois aussi la prière personnelle qui s’intensifie, un engagement plus marqué à vivre la charité. Ces personnes reçoivent de grandes grâces : certaines ressentent dans leur prière la miséricorde de Dieu, d’autres entament une démarche de pardon… Preuves que le Seigneur est là et en amitié avec elles !
Quand quelqu’un est en amitié profonde avec le Seigneur, le signe de la conversion est bien là.
L’accompagnateur marque toutes ces étapes et reconnaît la grâce de Dieu. Beaucoup de ces personnes ont un amour du Seigneur que bon nombre de pratiquants n’ont pas ! Quand quelqu’un est en amitié profonde avec le Seigneur, menant une vie de prière, de charité, le signe de la conversion est bien là. A ce moment-là, il est possible de les réconcilier sacramentellement, afin qu’elles retrouvent, "dans la discrétion" dit le Pape, une place dans l’Eglise et l’accès aux sacrements. Le constat sera alors posé que la volonté du Seigneur est bien de nourrir celui qui a faim et soif. Et le pardon du Seigneur permettra le don du pain de vie, reçu dans la discrétion.