Une promesse d’obéissance
Rome interdit à un évêque en titre, évêque depuis vingt-deux ans du même diocèse, d’ordonner prêtres et diacres les candidats formés dans son séminaire dont la dynamique et la politique d’accueil avait été élaborée par Mgr Madec, prédécesseur de Mgr Rey entre 1983 et 2000. Si le problème portait sur tel ou tel candidat, il était possible de le retarder aux Ordres. Trois semaines avant, les lettres des candidats ont été écrites, l’évêque leur a répondu et ils ont été appelés à l’ordination. C’est le discernement même de l’évêque qui est en cause et les victimes collatérales sont les ordinants. Techniquement, si des candidats sont jugés inaptes, cela ne se décide que nommément et non en groupe. Il semble donc que Rome interdise à un évêque de recevoir la promesse d’obéissance de tous les ordinants. Cependant, pour six d’entre eux, les diacres, c’est déjà fait. C’est donc absurde.
Motiver une décision est la première charité d’un décideur et l’on ne peut escompter un assentiment ou une obéissance si l’on n’offre pas à ceux qui la reçoivent les raisons qui ont conduit à la prendre.
Pour rajouter du piquant à l’affaire, cette décision intervient contre un évêque qui tranche un peu dans le paysage. C’est un des séminaires qui compte le plus de candidats au sacerdoce, dans un diocèse qui peut encore se vanter d’avoir un curé par paroisse. Bien sûr, ce recrutement est plus large que le seul diocèse, bien sûr, des candidats avec une sensibilité traditionnelle se pressent chez lui. Ce n’est pas nouveau et dans les années quatre-vingt-dix, lorsque j’étais jeune prêtre, certains disaient déjà que Mgr Madec récupérait tout le monde, même ceux dont personne ne voulait. Il appartient cependant à l’évêque de choisir les collaborateurs dont il a besoin pour mener la charge pastorale qui lui est confiée. Dans le climat actuel de tension en France, cette décision incompréhensible rajoute de l’huile sur le feu et nous n’en n’avions pas besoin.
La première charité
Motiver une décision est la première charité d’un décideur et l’on ne peut escompter un assentiment ou une obéissance si l’on n’offre pas à ceux qui la reçoivent les raisons qui ont conduit à la prendre. Si l’on ne peut pas communiquer parce que l’enquête n’est pas aboutie, alors il convient de ne rien faire, à moins qu’un péril grave et imminent ne soit discerné. La décision intervient à la suite d’une visite « fraternelle » de Mgr Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, dans le diocèse de Fréjus-Toulon. Celui-ci sera créé cardinal le 27 août prochain. Il semble qu’il faille désormais se méfier des visites « fraternelles » et la langue de buis ecclésiale bat son plein. En plein synode sur la synodalité pendant lequel on essaye de noyer des poissons, une décision autoritaire sur un évêque (dont pourtant le concile Vatican II a remis au centre la mission) vient contredire les règles les plus élémentaires du fonctionnement ecclésial qui prévoit des visites canoniques dûment préparées et organisées à l’issue desquelles des décisions sont prises dans la clarté et la compréhension et peut-être, une forme de douceur et d’intelligence. Si des alertes et monitions ont été adressées au diocèse de Toulon sur son séminaire et sa formation et qu’elles n’ont pas été suivies d’effet, alors il est possible de le dire et de motiver cette décision. Ce qui n’a pas été fait. Si des raisons encore plus graves la motivent, alors la charité pour la justice exige la transparence.
Un combat qui n’existe plus
Mais tout cela marque aussi une certaine dérive romaine en ce moment. Même s’il y matière à interrogation sur le recrutement, le discernement ou le contenu de la formation dans un diocèse, ce ne sont pas des méthodes dignes et respectueuses. L’Église et le peuple de Dieu ne se manient pas avec brutalité, comme aucune institution et aucune personne d’ailleurs. Cette décision touche à l’ordination de prêtres et de diacres. Depuis neuf ans, nous ne cessons d’entendre critiquer les prêtres depuis les plus hauts sommets de l’Église et bien sûr aussi dans la société, mais à cela nous y étions habitués. Cette volonté de décléricaliser l’Église semble être un tir de mortier sur une ambulance. Les boomers mènent un combat qui n’existe plus mais les boomers sont arrivés à Rome. Les 20-40 ans sont bien plus libres, indépendants, plus exigeants aussi et leur combat n’est pas celui de ceux qui ont vécu le concile et l’après-concile. Ils sont bien moins cléricaux, ne demandent au prêtre que ce que le prêtre peut leur donner, à savoir le Christ, et se débrouillent très bien pour mener leur vie d’adultes croyants dans la société déchristianisée qui est la nôtre. Certains rêvent d’une Église sans prêtres, c’est-à-dire d’une Église où tout le monde serait prêtre et se regarderait synodalement le nombril au lieu de mener leur vie de laïcs, nourris par la Parole et les sacrements, dans un monde qui attend le Christ.
Comme tout cela est incompréhensible, attendons donc des explications qui viendront peut-être, qui viendront trop tard, qui ne feront que raviver la blessure ; le mal est fait et c’est dommage. Ma prière va pour ces diacres et ces séminaristes, victimes indirectes et indifférenciées dont on salit l’appel et la vocation, à l’aube même de leur mission. Que l’Esprit saint leur donne la Paix et d’être en communion avec Celui qui est et sera toujours le seul Innocent.