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Cheveux châtains et yeux clairs, Cécile s'avance vers moi d'un pas sûr et chancelant, sa fidèle canne à la main - « un incroyable vecteur de rencontre » sourit-elle. Lors de notre entretien, elle prend son temps pour répondre à mes questions, cherchant les mots justes pour exprimer la vérité de ce qui l'habite. L'écrivain porte sur le monde un regard plein de douceur : elle en révèle, dans un même élan, la rugosité et la beauté. Et quand la jeune femme conclut notre rencontre par la prière orthodoxe : « Roi céleste consolateur, Esprit de Vérité », la présence du Tout-Autre se fait palpable. Rencontrer ou lire Cécile, c'est toucher à la grâce, avec un grand G.
Aleteia : J'ai lu votre livre, et en le fermant j'ai ressenti une grande douceur, comment est-ce possible alors qu'il parle de handicap ?
Cécile Gandon : Je dirais que c'est la rencontre de l'autre qui m'aide à trouver la paix et la douceur et à transformer la révolte liée au handicap. En contemplant les personnes autour de moi, je vois qu'elles sont belles. Alors je me dis que moi aussi je le suis, grâce à cette part en moi qui n'est pas touchée par le handicap.
Facile à dire...
Oui, car ce peut être cruel et dur de voir son corps qui boîte. Ce sont les autres qui m'aident par leur regard aimant. Les yeux de l'autre soutiennent, ou font mal, et j'ai la liberté de choisir le regard sur lequel je m'appuie : celui qui me relève, ou celui qui m'enfonce.
Les « petites morts » du quotidien, c'est l'apprentissage de mes limites.
Dans votre livre, vous utilisez le terme de « petites morts » au quotidien, c'est-à-dire ?
Ce que mon handicap me fait vivre, beaucoup le vivent déjà - les personnes âgées notamment - ou le vivront. Je le vis simplement avec un peu d'avance, comme une pionnière ! Les « petites morts » du quotidien, c'est l'apprentissage de mes limites. C'est aussi l'expérience d'un passage d'une vie autonome à une une vie où j'ai besoin de l'autre. C'est parfois très rugueux, mais finalement tellement doux...
C'est doux ?
Oui, c'est doux de donner à l'autre l'occasion de m'aider ! Souvent la vulnérabilité est associée à une vision négative de la dépendance, à l'humiliation alors qu'on pourrait l'associer à la joie, à l'amour... comme Jésus dans la crèche !
Vous dites aussi que le handicap révèle surtout ce qu'il y a de plus vivant en vous...
Oui, car il me rend audacieuse ! Si je ne risquais rien, je resterais enfermée dans mon handicap. Ma vie est semée de petits dangers, par exemple vais-je oser attraper cet objet ? C'est aussi cette audace du quotidien qui me fait aller vers l'autre et lui parler...
Qu'on vous offre la possibilité de servir a été le grand cadeau de votre vie, que voulez-vous dire ?
Oui, j'ai pu expérimenter la joie de servir dans un camp de jeunes, ce fut une grande joie ! Mais servir, ce n'est pas forcément être opérationnel. Je peux être présent à l'autre, lui rendre service en priant, ou en étant là, tout simplement, comme une personne polyhandicapée qui diffuse de la douceur par sa présence. Il n'y a pas besoin d'être efficace pour porter l'espérance.
Ce que je sais, c'est que je ne me résume pas à mon handicap.
Dans ce monde virtuel, vous dites être en permanence connectée au réel, expliquez-nous...
Moi, je ne peux pas traverser la rue avec un portable dans la main ou un casque sur les oreilles. Et c'est une chance, ou plutôt ce que mon handicap me permet de vivre, dans cette situation, est une chance. Le virtuel, c'est très bien, je me sers des réseaux sociaux dans mon travail mais la présence au monde réel est essentielle. Certains pensent qu'il faut créer des « îlots off » dans un monde connecté. Une amie m'a fait prendre conscience qu'on pouvait penser l'inverse : créer des îlots virtuels dans un monde où le rythme humain est le curseur.
Vous écrivez : "L'ami est celui qui pose la question « comment vas-tu ?», et qui attend la réponse." Quel regard portez-vous sur l'amitié ?
C'est un mystère (Silence). La société nous fait croire : plus tu as d'amis, plus tu as de valeur. C'est faux ! Ce qui compte, c'est la qualité de la relation. Si je ne peux pas décider d'être choisie comme amie, je peux travailler à me rendre aimable, en étant amie de moi-même et en cultivant ma vie intérieure – ce petit foyer intérieur qui brûle en moi. Et je peux faire un pas vers celui qui attend mon amitié...
Vie intérieure et handicap feraient alors bon ménage ?
Bien sûr ! Dans son centre ou à l'hôpital, la personne handicapée porte en elle un trésor, celui d'une vie intérieure parfois très riche. Souvent silencieuse, elle est un cadeau pour le monde. Mais savons-nous le voir ?
Finalement, vous êtes une artiste !
Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que je ne me résume pas à mon handicap même si sa violence est toujours là. Comme un burin, celle-ci me sculpte pour dégager ce qu'il y a de meilleur en moi même si c'est parfois douloureux. Comme écrivain, c’est ce que je fais : par les mots, je dégage le beau au cœur de ma réalité, et je le fais dans l’après-coup. Car, quand je suis au cœur du volcan, je brûle... mais c'est si léger de regarder en arrière et de s'émerveiller devant ce que le rabot a sculpté !
"S'il est vrai que je vis la réalité autrement, je la vis pleinement", quelle belle phrase !
Vivre autrement, c'est croire que le handicap n'est pas d'abord un manque, mais qu'il cache un plein. Alors, soit je vis ainsi, soit je vis dans le regret du manque. Pour moi, j'ai choisi de vivre dans la plénitude et d'accueillir ce que la vie me donne.
Ce qui vous apporte la joie ?
Je dirais plutôt la paix. Car la joie, elle, naît de la rencontre...
Pratique