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Historien, Jean-Marc Ticchi est spécialiste de la papauté et de la diplomatie pontificale aux XIXe et XXe siècles. Il est notamment l’auteur du Voyage de Pie VII à Paris pour le sacre de Napoléon (1804 1805) (Honoré Champion, 2013) ; il a édité Le Pontificat de Léon XIII. Renaissances du Saint-Siège avec Philippe Levillain (École Française de Rome, 2006). Dans sa biographie de Pie VII, il montre comment le pape qui sacra l’empereur Napoléon est aussi l’un des rares souverains à lui avoir résisté, avec modération, mais avec constance et sans rien céder sur l’essentiel.
Aleteia : En 1800, le cardinal Chiariamonti devient Pie VII. Bonaparte est Premier consul depuis quelques mois. Comment évoluent les relations entre le Saint-Siège et la France entre la campagne d’Italie (1796-1798) menée par le général Bonaparte jusqu’à la chute de l’Empire napoléonien en 1814-1815 ?
Jean-Marc Ticchi : La relation connaît trois phases. La première est une prise de contact. Chiaramonti est évêque d’Imola quand le traité de Tolentino sanctionne, en 1797, la défaite des armées du pape et la perte d’une partie des États pontificaux. Alors que des soldats français sont pris dans un guet-apens à Lugo, non loin de son évêché, Chiaramonti va en personne implorer la magnanimité du général Augereau. Les Français garderont de ce premier échange l’image d’un homme conciliant car contrairement à plusieurs de ses pairs qui se sont enfuis ou ont lancé des anathèmes contre les Français, il est resté et les a reçus. Ce comportement modéré se fonde sur la doctrine paulinienne en vertu de laquelle tout pouvoir vient de Dieu. En l’occurrence, le futur Pie VII en déduit qu’il faut se soumettre à la puissance détentrice de la Souveraineté, c’est-à-dire à la France.
Quand commence la deuxième phase ?
Elle débute lorsque Napoléon prononce en 1800, à Milan, un discours où il fait l’éloge du catholicisme romain. Le Vatican est surpris de ces propos émanant d’un chef d’État dont le pays a essayé depuis 1792 de créer une église schismatique et adopté la Constitution civile du clergé. Pendant cette seconde phrase de coopération, Napoléon cherche à obtenir du Vatican la signature d’un Concordat. Celui-ci est finalement proclamé par Pie VII le 15 août 1801, un peu plus d’un an après son élection, puis par la France. Bonaparte tourne de ce fait le dos au clergé constitutionnel, représenté notamment par l’abbé Grégoire, dont le choix en faveur d’une "Église française" a créé un schisme du point de vue de Rome. Pie VII demeurera toujours reconnaissant envers Napoléon pour cette ouverture vers le Saint-Siège.
Napoléon poursuit son grand projet consistant à réunir l’Empereur et le Pape à Paris, sans parvenir à faire céder Pie VII.
Quelle est la portée historique de cette deuxième phase ?
Deux évènements sans équivalents se produisent. D’une part, Napoléon accepte de reconnaître la suprématie du pontife romain dont il assoit la suprématie sur l’Église de France, ce que Louis XIV n’aurait jamais accepté — même s’il faut nuancer cette ouverture par les "articles organiques" qui suivront et corsèteront l’Église de France. Le Premier consul jette ainsi les bases du grand mouvement de dévotion pour le pape et de romanisation de la piété française au XIXe siècle. D’autre part, Pie VII, en même temps qu’il ratifie le Concordat, signe un bref en vertu duquel il supprime tous les diocèses d’Ancien Régime et établit une nouvelle hiérarchie épiscopale. C’est la première fois dans l’histoire de l’Église !
Quand les choses commencent-elles à mal tourner entre les deux hommes ?
La période de collaboration se conclut avec le sacre au cours duquel Bonaparte n’a pas, notons-le, pris Pie VII de court en se couronnant lui-même : des négociations avec l’évêque d’Orléans avaient en effet préparé l’évènement ! Pie VII a cependant été déçu car il estime avoir fait une énorme concession à la France, or Napoléon refuse d’abroger les articles organiques qui limitent l’indépendance de l’Église de France. La politique extérieure de l’Empereur oblige aussi, à compter de 1806, les États pontificaux à appliquer le "blocus continental" en refusant aux bateaux russes et anglais d’entrer dans leurs ports. Cela conduit à la dernière phase, celle du conflit, qui commence avec l’enlèvement de Pie VII dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809. Napoléon poursuivra jusqu’à sa chute son grand projet consistant à réunir l’Empereur et le Pape à Paris, sans parvenir à faire céder Pie VII qu’il détiendra à Fontainebleau.
Diriez-vous que Pie VII a triomphé de Napoléon ?
Quand Napoléon prend le chemin de l’exil en 1814, Pie VII est l’un des seuls souverains à lui avoir résisté. Les Bourbons d’Espagne se sont rendus à l’Empereur alors que le tsar et l’empereur d’Autriche ont pactisé avec l’"usurpateur" avant de le combattre. Pie VII a, lui, acquis une immense autorité morale du fait de sa constante résistance. Sans cette politique menée entre 1806-1807 et 1814, sa position au Congrès de Vienne qui a redéfini la carte de l’Europe en 1815 aurait été infiniment moins forte. Le pape est vainqueur de Napoléon car il finit par l’emporter "à l’usure". Par-delà tous les bouleversements, il parvient à se rétablir dans ses États et à maintenir le concordat.
Quels ont été les forces du pape Pie VII ?
En dépit des crises de conscience qu’il a traversées (fallait-il accepter de signer un nouveau concordat en 1814 ?), il a été porté par sa confiance dans la Providence. Il évoque celle-ci dans l’édit publié à Césène durant son retour dans ses États en 1814. Pie VII a aussi fait preuve d’un esprit de transaction : à la différence de certains de ses prédécesseurs qui fulminaient des condamnations, il n’a pas pris le parti des Bourbons pour mieux négocier avec la France napoléonienne. Louis XVIII lui en a terriblement voulu.
Quelle place le pontificat romain doit-il avoir d’après Pie VII ?
Pie VII a eu une foi très profonde dans le rôle spécifique du pontificat romain. Il a mis un terme à l’expansion du jansénisme en Europe, ce courant qui considérait que la papauté ne devait pas avoir de territoires ni se mêler des affaires temporelles. Avec lui, la souveraineté temporelle et le magistère spirituel, au sens de l’infaillibilité pontificale bien qu’il ne l’ait pas invoquée, ont été fortement affirmés. Il a signé plus d’une dizaine de concordats et a préfiguré la grande encyclique de Léon XIII de 1885 sur la séparation entre l’ordre de l’Église et l’ordre du temporel.
Voyez-vous dans cette politique pontificale un enseignement pour faire face aux défis du présent ?
L’affirmation d’un catholicisme appuyé sur une Église universelle et indépendante résonne aujourd’hui avec la question des autocéphalies dans les pays de l’Est. C’est cependant sur la Chine que j’aimerais m’arrêter. Elle a aujourd’hui la position de la France de l’Ancien Régime en ne voulant pas reconnaître que le pape est le chef spirituel des catholiques romains du monde entier. Elle n’en veut pas à l’Église en soi mais craint une Église soumise à l’autorité d’une puissance étrangère qui pourrait mettre à mal la souveraineté chinoise : certains invoqueront l’exemple de Pie VII pour prouver que cette crainte est infondée.
Propos rapportés par Laurent Ottavi