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Après les massacres d’enfants dans des écoles américaines

Mémorial improvisé pour les victimes de la fusillade d'Uvalde, au Texas.

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Jean Duchesne - publié le 31/05/22
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Libéraux et conservateurs s’opposent farouchement aux États-Unis sur les armes à feu comme sur l’avortement. Il n’y a pas à choisir, remarque l’essayiste Jean Duchesne, car des deux côtés on permet l’infanticide.

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Un énième massacre d’enfants dans une école du Texas fait rebondir le débat en Amérique sur la possession par les particuliers d’armes à feu conçues non pour la chasse, le tir sportif ou l’auto-défense dissuasive, mais pour des tueries massives en temps de guerre. C’est une situation propre aux États-Unis, où le Deuxième Amendement de la Constitution exclut d’empêcher les citoyens de "posséder et porter des armes" , ce qui donne lieu à des abus extrêmement graves et révoltants. Dès lors, faut-il révoquer ce droit, ou du moins le restreindre et contrôler sérieusement ? Ce n’est sans doute pas aussi simple.

Une addiction nationale

Il est clair qu’à l’origine, cet amendement a été adopté dans un contexte aujourd’hui révolu : treize colonies d’Amérique avaient conquis leur indépendance en s’insurgeant contre le roi d’Angleterre et en battant ses armées, qui cependant restaient à leur porte, au Canada. Et la jeune nation ne voulait pas risquer qu’une nouvelle autocratie s’instaure en son sein, si le pouvoir exécutif avait le monopole de la force armée et pouvait ainsi imposer sa loi sans débat démocratique. Cette crainte est depuis longtemps sans fondement, en dépit de théories complotistes où l’administration fédérale est déclarée totalitaire, ou bien où l’on se croit menacé par un gouvernement mondial (secret ou onusien), si ce n’est par les martiens... 

Indépendamment de ces divagations, la présence de fusils et de révolvers dans les foyers fait partie de la culture nationale : le six-coups est inséparable de la légendaire Conquête de l’Ouest. Et c’est aussi largement (quoique non unanimement) considéré comme un symbole et une garantie des libertés individuelles, fondamentales et inaliénables. Il y a, paraît-il, en Amérique plus d’armes à feu que d’habitants ! C’est ce qui explique qu’il soit si difficile de réguler l’acquisition et la possession de ces armes : on peut parler d’une addiction nationale. La NRA (National Rifle Association : Société nationale du fusil) est un lobby puissant, qui subventionne les candidats et élus (essentiellement du Parti républicain, désormais plus conservateur) qui promettent de faire respecter à la lettre le Deuxième Amendement. 

La loi peut-elle régler le problème ?

Il est indubitable qu’une législation réduisant de façon draconienne le nombre vertigineux d’armes à feu à la portée de n’importe qui dans la population sauverait quantité de vies innocentes, victimes de pulsions homicides qui ne trouvent que trop facilement des moyens de se traduire en actes et qui sont même stimulées par l’accessibilité, la possession, voire la jouissance de tout un arsenal. Une législation rendant moins disponibles des armes qui tuent avec une efficacité aussi aveugle qu’effrayante seraient de simple bon sens, et l’opposition à de telles mesures est foncièrement irrationnelle. L’idée que le Deuxième Amendement serait une loi divine ne tient la route ni théologiquement, ni juridiquement. Et la conviction que, si tout le monde est armé, les tueurs fous seront rapidement neutralisés n’est pas du tout vérifiée quand on regarde les massacres qui se succèdent sans fin.

Le vrai défi n’est pas les outils utilisés pour ces tueries préméditées, et bien plutôt ce qui inspire la rage destructrice qui les motive.

C’est pourquoi on en vient à se demander si des lois, en admettant qu’elles soient votées et appliquées, règleraient le problème comme par magie. Il ne deviendrait que progressivement plus difficile de renouveler l’énorme stock existant de fusils perfectionnés qui tirent à la cadence d’une mitrailleuse, et tous les propriétaires de pistolets de calibres divers ne s’en débarrasseraient pas obéissamment pour qu’ils soient détruits. Des restrictions pourraient aussi porter sur les ventes de munitions. Mais cela créerait un marché noir et supposerait un fichage des acheteurs — auquel est rebelle une nation qui (comme la Grande-Bretagne) ne veut déjà pas entendre parler de cartes d’identité.

Les armes ne tuent pas toutes seules

La racine du problème est-elle cependant l’omniprésence des armes ? Certes, leur accessibilité encourage à s’en servir. Mais la restriction même rigoureuse des moyens faciles de céder aux tentations de violence ne supprimera jamais complètement ce qui suscite et nourrit les envies meurtrières : la haine d’une certaine catégorie de personnes, voire de ses semblables et contemporains en général, doublée d’une détermination suicidaire — l’envie de "partir" (et nulle part !) après avoir occis un maximum de ceux qui sont jugés rendre la vie impossible dans un monde qu’il n’y a plus qu’à abandonner à son triste sort.

Il y a donc quelque chose de juste dans le slogan de la NRA : "Ce ne sont pas les armes à feu qui tuent, mais ceux qui s’en servent pour tuer" (Guns don’t kill people ; people kill people). Il est à coup sûr abusif de faire d’une mitraillette un instrument ordinaire, neutre et ludique, comparable à une raquette de tennis, avec laquelle on ne tire pas mais échange des balles qui ne transpercent pas les chairs. Cependant, le vrai défi n’est pas les outils utilisés pour ces tueries préméditées, et bien plutôt ce qui inspire la rage destructrice qui les motive.

D’autres addictions difficilement gérables

Il est trop facile de voir là des pathologies heureusement rares qu’il suffirait de priver des moyens de nuire. Car passions, peurs, détestations et fixations obsessives ne sont pas de simples dysfonctionnements mentaux. Elles sont sinon suscitées, au moins alimentées par la violence sociale (ségrégation, compétition…), par l’actualité que les médias rendent stressante, par les théories délirantes véhiculées sur internet et dans les réseaux sociaux… Que la loi soit impuissante à régler le problème des addictions, les États-Unis l’ont vécu au siècle dernier. Il ne s’agissait pas des armes à feu, mais de l’alcool : le 18e Amendement de la Constitution en interdit la fabrication, le transport et la vente en 1920. Ce fut le temps de la Prohibition — et de toutes sortes de trafics criminels. En 1933, un 21e Amendement y mit fin en annulant le 18e (preuve qu’un amendement est révocable). Mais l’alcoolisme reste un fléau en Amérique, de même que d’autres substances addictives : les drogues dites récréatives ou thérapeutiques sont légalisées dans certains États ; les plus dures restent généralement hors-la-loi sans que cela influe sur la consommation, et celle de sédatifs et de stimulants augmente.

Libéralisme et conservatisme en contradiction

Il en va un peu de même dans l’affaire d’une possible remise en cause prochaine par la Cour Suprême du soi-disant droit constitutionnel à l’avortement. Il est douteux que l’arrêt rendu, quel qu’il soit, tranche la question une fois pour toutes : le pays demeurera divisé entre "pro-vie" et "pro-choix", comme il l’est vis-à-vis du Deuxième Amendement. Tout se joue finalement au niveau non pas des lois, mais bien en amont, dans la culture et les modes de vie qui engendrent les "détresses psychosociales" à l’origine du recours à l’IVG, de l’usage de drogues ou l’acquisition d’armes de guerre en vente libre. 

Il est piquant de voir que les défenseurs de l’avortement sont en général hostiles à la NRA et qu’à l’inverse ceux pour qui la vie est humaine dès sa conception considèrent souvent qu’avoir une arme est aussi un droit sacré, même pour les psychopathes. C’est peut-être là que les chrétiens ont leur mot à dire — et sans même prêcher —, en critiquant au nom de la simple raison aussi bien le libéralisme des uns que le conservatisme des autres, car des deux côtés on se résigne tout de même un peu légèrement à l’infanticide au nom des droits du citoyen.

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