Nos questions existentielles font partie de notre histoire, de notre quotidien. Qu’elles nous fassent avancer, progresser ou reculer, elles expriment notre quête insatiable de sens, de vérité, de sérénité. Nos besoins d’enracinements, aussi, qu’on en ait conscience ou pas. Parmi elles, celle de nos origines est peut-être la plus flagrante. Savoir d’où l’on vient compte dans cette recherche du "qui suis-je ?" qui dure tant que dure la vie. Preuve en est, le succès massif des ventes de kits génétiques. Contre quelques dizaines d’euros et un peu de salive, des millions de gens dans le monde ont déjà sauté le pas pour découvrir de quels pays viennent leurs ancêtres, engraissant au passage ces entreprises dotées d’une puissance insoupçonnée générée par ces immenses "banques de données".
Volontairement déracinés
Connaître ses origines — son père et sa mère — est un réel besoin. Ce sont ceux qui souffrent de leur ignorance qui témoignent le plus fortement de leur importance. Même si la filiation ne peut se résumer à la biologie (pensons aux adoptions), le lien biologique ne peut être balayé comme ne comptant pour rien, ou n'étant qu'une simple idée. Pourtant, nos sociétés postmodernes n’ont de cesse d’utiliser de plus en plus les biotechnologies pour concevoir artificiellement — et donc volontairement — des enfants génétiquement déracinés. Le mot "volontairement" compte éminemment ici. La situation où le lien est rompu par un accident de la vie (abandon, naissance sous X…) n’est en rien comparable dans son intentionnalité avec l’intention qui préexiste à la conception in vitro d’un enfant pour lequel il est prévu, avant même qu’il n’existe, que ces liens seront rompus (achats de gamètes, gestation par autrui...).
Le recours au don de gamètes anonymes est autorisé en France depuis bientôt cinquante ans. À l’époque, on a pensé à la place de ces enfants — désormais adultes — que naître d’un don anonyme resterait sans effet ou même qu’il serait mieux pour eux que le secret soit bien gardé. Depuis, nombreux sont ceux qui sont revenus en boomerang nous prouver que c’est faux. Si bien que plus personne aujourd’hui ne conteste leur besoin, qui n’est pas de remplacer le parent qui les élève, mais de savoir qui est ce parent biologique, quel est son visage, son histoire, son âge et la raison de son don… mais aussi, de découvrir s’ils ont des demi-frères et sœurs. Une association partage des témoignages de ces expériences, toujours uniques et singulières. "S’il y a bien quelque chose que ces dernières années m’ont appris, c’est que l’humain a besoin de se raconter. Il a besoin d’une histoire bien à lui, aussi inhabituelle et étonnante qu’elle soit, pour donner un sens à son existence" confiait Adeline, 30 ans, en janvier dernier. Rose Christen, 16 ans, confirme : "Je ne souhaite pas dire que ce donneur est mon père car mon vrai père, celui qui m’a élevé, est le seul à qui je puisse adresser ce nom. Malgré tout, je souhaite rencontrer mon donneur. […] Il est important pour moi de savoir à qui je ressemble en partie, de qui je tiens, si j’ai des antécédents médicaux dont il faut que je me préoccupe, si j’ai des demi-frères, demi-sœurs (je suis fille unique). Et encore beaucoup d’autres questions… Même si je sais qu’il y a très peu de chances que je retrouve un jour sa trace, je ne cesse d’espérer. L’espoir fait vivre dit-on ?"
Poète, Cécile, 24 ans, a rédigé ces vers :
Donner son sperme, ce n’est pas rien
Ce besoin est devenu si évident que la loi a changé en 2021, sous la pression de ces hommes et femmes qui partagent ce point commun de vivre avec cette pièce manquante dans le puzzle de leur vie. La loi n’a pas remis en question le fondement du problème, mais juste ses conséquences. À compter de septembre 2022, à leur majorité, les enfants nés de dons anonymes auront le droit d’accéder à des données identifiantes et non identifiantes des donneurs de gamètes ou d’embryons à l’origine de leur vie. Mais avant 18 ans, circulez, il n’y a rien à voir…. Un registre national est en cours de création. Il sera géré par l’Agence de la biomédecine, celle-là même qui finance par nos impôts d’immenses campagnes de promotion au don de gamètes, comme en ce moment : #FaitesDesMères, un camion qui circule sur les campus pour encourager les étudiants à donner leur sperme et leurs ovocytes. Malgré ce branle-bas de communication, seuls 600 hommes et 900 femmes ont donné en 2021. Qu’il y ait peu de donneurs met en évidence que pour les Français, donner ses gamètes, "ce n’est pas rien". On donne plus que du sperme ou des ovocytes (ce qui est lourd et pas sans risque pour le corps et la santé d’une femme d’ailleurs), on donne une paternité ou une maternité potentielle, on accepte de vivre avec l’idée qu’on a peut-être des enfants biologiques qui vivent quelque part, qu’on peut les croiser sans le savoir…
Alors, que rappeler en cette journée du droit aux origines ? Que notre pays a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant. Ce texte à valeur juridique internationale est contraignant, c’est-à-dire supérieur à notre droit français. Il s’impose aux États, parlements, gouvernements et présidents… Or ce texte pose le droit pour tout enfant, dès sa naissance, à un nom, une nationalité et, dans la mesure du possible, de connaître ses parents et d’être élevé par eux. Notre loi — qui organise par avance et de manière délibérée la conception d’un enfant d’une manière qui fait disparaître le père ou la mère ou permet seulement à l’enfant de connaitre "l’identité" de son géniteur à sa majorité — n’est assurément pas respectueuse de ce droit.