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Jésus a connu l’angoisse et la peur. L’évangile de saint Marc le décrit, à Gethsémani : "Il emmène avec lui Pierre, Jacques et Jean, et commence à ressentir frayeur et angoisse. Il leur dit : “Mon âme est triste à mourir. Restez ici et veillez”" (Mc 14, 33). La peur et la tristesse sont deux sentiments distincts qui peuvent se mêler mais qu’il est important d’identifier et de distinguer pour y répondre de façon adaptée. Jésus a connu l’angoisse et il sait de quoi il parle lorsqu’il dit à ses disciples, comme on vient de l’entendre : "Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé" (Jn 14, 27). En fait, il le répète car il leur avait déjà dit : "Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi" (Jn 14, 1). Ce premier "bouleversé" ne disait pas le type d’émotion, sa coloration. Mais Jésus proposait la foi, la confiance en Dieu pour dépasser cet état émotionnel. Et voilà qu’il dit à présent quelle est la force qui donne la foi : l’Esprit saint.
Trois « bouleversements » de Jésus
L’évangile de saint Jean contient trois séquences successives, une sorte de triptyque dont la partie centrale se situe au chapitre 12 : Jésus annonce que "l’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. […] Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? — Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! Alors, du ciel vint une voix qui disait : “Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore”" (Jn 12, 23-27). Cette séquence est précédée par un premier bouleversement à la mort de Lazare. Quand Jésus vit pleurer Marie, la sœur de Lazare, "et que les juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé. Il frémit en son esprit et se troubla, et il demanda : “Où l’avez-vous déposé ?” Ils lui répondirent : “Seigneur, viens, et vois.” Alors Jésus se mit à pleurer" (Jn 11, 33-35). Quelle tristesse. Elle est suivie d’un troisième bouleversement, après le lavement des pieds, quand Jésus annonce la trahison de Judas, "il fut bouleversé en son esprit […] : “Amen, amen, je vous le dis : l’un de vous me livrera”" (Jn 13, 21). Voyez ce triptyque, avec au centre l’angoisse de la confrontation à notre condition mortelle. À gauche si je puis dire, premier volet, la tristesse à la mort d’un proche, un ami, Lazare. Et à droite, troisième volet, le mélange de tristesse et d’angoisse devant la trahison d’un proche, "l’ami qui partageait mon pain" (Ps 40, 10). Judas se perd lui-même, le trahit et se condamne.
Les crises d’angoisse
La juste reconnaissance de nos émotions est la base de la connaissance de soi, nécessaire à la conversion et à la maîtrise de soi. Sans compter, le cas échéant, leur traitement adéquat, médicamenteux ou par la thérapie, lorsque ces émotions sont trop lourdes à porter. Les liens de la mort m’étreignaient, dit un psaume (Ps 17, 6). L’expression exacte est une "angoisse mortelle" (Est 4, 17). C’est un aspect de la crise d’angoisse, la sensation de mort imminente, qui peut aller jusqu’à la panique, sans que la raison puisse prendre le dessus.
À quoi cela sert-il d’avoir la foi si c’est pour avoir aussi peur ?
Les hôtesses et pilotes des avions sont habitués à faire face à de telles crises de panique, où entre une part de claustrophobie, de sentiment d’enfermement, qui peut survenir "au sol", dans la vie courante pour ceux qui se retrouvent étranglés financièrement, se sentent étouffés par les dettes et les traites, qui ne voient pas comment ils vont s’en sortir. Je me souviens d’un de mes amis, un directeur administratif et financier extrêmement brillant dans ses exposés ; il n’avait pas cette facilité à l’écrit, était plus à l’aise avec les chiffres, me demandait parfois de corriger ses mémos, mais il avait à l’oral un talent éblouissant. J’avais beaucoup d’admiration pour lui. Père de cinq enfants, catholique confirmé, il avait demandé à notre patron d’être le parrain du dernier. Je l’ai retrouvé après la première guerre du Golfe qui l’avait rendu fou : il avait perdu ses cheveux, passé ses nuits devant la télévision. Il avait ensuite perdu son travail. Il n’avait pas osé le dire à sa famille. Et il est mort d’une crise cardiaque, à cinquante ans, dans un bureau vide, désaffecté. Quelle tristesse.
« Qui viendra à mon secours ? »
Des années plus tard, prêtre, j’ai découvert dans l’histoire de l’Église et rencontré plus d’un cas de prêtres, de religieux, en proie et submergés par de telles attaques, de telles crises d’angoisse, comme si la foi était impuissante, dépassée. À quoi cela sert-il d’avoir la foi si c’est pour avoir aussi peur ? Je vous enverrai un Défenseur, dit Jésus. "Le Défenseur, l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit" (Jn 14, 26). Est-ce qu’il nous enseignera comment résister à l’angoisse et à ces attaques ? Des attaques bien plus terribles que les tentations que Jésus a connues au désert : au désert, Jésus était seul, envoyé par l’Esprit ; pour la mission, il avait appelé les apôtres. Mais quiconque a charge d’âmes, père ou mère de famille, des enfants à nourrir, des traites à payer, des salariés, sait ce qu’est l’angoisse la plus matérielle. Et quand survient une rupture, une séparation, un abandon, une trahison, comment résister à la panique ? Qui viendra à mon secours ?
Nous avons l’entraînement quotidien de la prière, la confiance en Dieu seul qui ne nous abandonnera jamais. Si quelqu’un m’aime, dit Jésus, il gardera ma parole, il gardera confiance. "Mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure" (Jn 14, 23). Chaque soir, avec l’humilité de la fragilité et la force de la fidélité, nous pouvons reprendre la prière du soir de Pâques : Reste avec nous Seigneur Jésus, "car le soir tombe et le jour déjà touche à son terme" (Lc 24, 29). Reste avec nous Seigneur Jésus : en réalité, donne-nous la force de rester avec toi, la force de la fidélité et l’humilité de la fragilité. Nous sommes des êtres fragiles, sans toi Seigneur nous ne pouvons pas vivre — pas vivre vraiment, en accord avec nous-même. Je t’aime Seigneur : je ne peux pas, je ne veux pas vivre sans toi. Que la Messe renouvelle nos forces et notre foi.