La masculinité est-elle en voie de disparition ? Difficile de nier le malaise : dans un monde déboussolé, les hommes d’aujourd’hui semblent douter d’eux-mêmes, ils ont peur de ne pas être à la hauteur. Alors comment y faire face ? Comment s’y retrouver ? C’est la question que s’est posé Bertrand Chevallier-Chantepie, auteur de Accomplir sa mission d’homme (Artège). Avec beaucoup de sincérité et d’enthousiasme, il veut réveiller l’esprit chevaleresque qui sommeille en tout homme. Marié depuis 20 ans, père de trois enfants, coach pour accompagner les chefs d’entreprise et délégué général de l’association Au cœur des hommes, Bertrand Chevallier-Chantepie appelle ainsi l'homme à répondre à sa vraie vocation.
Aleteia : Est-ce que l’homme, sa masculinité, sa paternité, sa virilité sont en voie de disparition ?
Bertrand Chevallier-Chantepie : Impossible de nier le malaise. L’homme traverse bien une crise, qualifiée souvent de crise de la masculinité. Mais en réalité, ce n’est pas la masculinité qui est en crise. La crise de l’homme est une crise de la transmission. La vocation de l’homme est une vocation profondément paternelle, que l’homme soit un père biologique ou non. Cette vocation paternelle constitue la stabilité de toute société humaine depuis des milliers d’années. Et c’est exactement ce que nous avons abandonné.
Pourquoi cette panne de la transmission ?
L’homme est habité aujourd’hui par un doute relatif à sa force. Il se demande s’il est vraiment fort, s’il est vraiment capable de mener sa vie, de protéger sa famille. La peur d’échouer le tétanise en provoquant à la fois la crise de la confiance, de la grandeur et de sens. Par conséquent, pour éviter des situations où on lui dit qu’il a échoué, l’homme a tendance à se cacher derrière une apparence mondaine. Persuadé qu’il doit passer pour un champion, son message "officiel" reste le même : tout va très bien dans son couple, dans sa famille comme dans son travail. En fait, c’est un grand mensonge. Il est, comme tout être humain, une personne vulnérable. Mais dans sa posture d’imposture, il se cache, il s’isole en renonçant à sa vraie vocation.
En quoi consiste sa vocation ?
Transmettre, c’est "laisser passer" des connaissances et des biens. Le frein à la transmission ne vient pas de son principe, car chacun veut aider sa progéniture à réussir sa vie, mais plutôt du "quoi" transmettre. On pense naturellement aux fondamentaux de la vie en société comme par exemple la politesse ou aux connaissances élémentaires comme l’anglais ou les maths...
La plus grande mission d’un homme consiste à transmettre.
Mais la transmission paternelle n’est pas de cet ordre. Il s’agit de transmettre l’identité de la personne. C’est-à-dire d’affirmer l’identité spécifique de l’être humain et de sa dignité. Tout cela est lié aux racines et à la filiation, comme un ancrage dans le passé et un tremplin pour l’avenir. La plus grande mission d’un homme consiste à transmettre. S’il a fait seulement cela, sa vie aura été féconde.
En 2016, alors que votre couple bat de l’aile, vous en prenez conscience personnellement. Que s’est-il passé ?
Ariane et moi, nous traversions une sérieuse crise de couple. Elle s’était déclenchée au moment de la maladie de ma femme. Face à cette épreuve, nous nous sommes installés dans de nouveaux rôles : elle, dans celui de "la malade", moi, dans celui "du sauveur". Seulement, quand mon épouse commençait à aller mieux, il a fallu qu’on se redécouvre et qu’on reprenne nos vraies places. C’était compliqué et difficile. C’est dans ce contexte qu’en 2016, un père de famille‚ rencontré à l’école de ma fille‚ m’a proposé de participer à un camp d’hommes. Je me suis laissé convaincre : l’expérience d’une pause dans le massif de la Sainte-Baume était tentante. En réalité, ces trois jours ont fait basculer ma vie dans une tout autre dimension. J’y ai vécu une véritable réconciliation intérieure. Dans une succession d’activités, de conférences, de temps de méditation, j’ai été retourné comme une crêpe le dernier jour‚ au sommet d’une montagne. J’ai alors pris conscience non seulement de ma dignité humaine‚ mais aussi – et surtout – de ma dignité masculine. Finalement, cette expérience m’a amené quelque temps plus tard à changer de métier : j’ai laissé mon travail de commercial dans l’informatique pour accompagner, en tant que coach, des chefs d’entreprise qui se trouvent dans des phases critiques de leur carrière et qui cherchent à redéfinir leur leadership.
Justement, vous dites que pour devenir un homme armé de confiance en soi, il lui faut une bénédiction de la part de son propre père. Pourquoi ?
Sans la bénédiction du père, le doute va polluer toute sa vie, impactant dramatiquement sa confiance en lui. Ce silence du père engendre des enfants tremblants, peu confiants, dépendants du regard de l’autre et cherchant par tous les moyens des solutions de compensation. Comme celle du Père, le poids de la parole non dite repose sur les épaules des enfants qui, silencieusement, supplient leur père : "Dis seulement une parole et je serai guéri." Selon moi, cette supplication s’adresse aujourd’hui à tous les pères.
Bénir, c’est "dire du bien", bénir son fils, c’est dire du bien de lui ?
Bénir Dieu‚ c’est chanter ses louanges, bénir ses enfants, c’est chanter leurs louanges. Quand on loue, on verbalise les qualités : je trouve que tu as une telle qualité, je vois que tu es doué pour cela ! Les psaumes regorgent de louanges pour Dieu : tu es grand, tu es éternel, tu es bon‚ tu es amour‚ tu es miséricorde, etc.
En prononçant les qualités de l’enfant, on les fait advenir et on les installe dans son cœur.
De même, en prononçant les qualités de l’enfant, on les fait advenir et on les installe dans son cœur. L’enfant a besoin de les entendre pour les enraciner. Il peut observer qu’il est bon joueur de foot, mais si son père le lui dit, non seulement il en sera convaincu, mais il décuplera aussi ses performances, renforcées par les paroles de son père. La bénédiction agit comme un enracinement des qualités dans le fond de l’âme. Il n'en faut jamais être avare !
Vous insistez dans votre livre sur le défi de relancer en chaque homme l’esprit chevaleresque. Le monde contemporain a besoin des chevaliers ?
Renforcer les hommes dans leur confiance en eux est un passage obligé‚ mais insuffisant. Je pense qu’il est important d’aller plus loin. Par qui est constituée la chevalerie ? Par des hommes à la fois spirituels et armés psychiquement, disposés librement à offrir leur vie pour la cause du bien. Il s’agit de défendre ce qui est bien et de protéger ce qui est faible.
Tout homme porte l’esprit de la chevalerie. Ce n’est pas pour rien qu’elle fait rêver des générations de garçons !
Tout homme porte l’esprit de la chevalerie. Ce n’est pas pour rien qu’elle fait rêver des générations de garçons ! Le chevalier agit pour le bien, et ne peut séparer son action de l’enracinement dans la Vérité qui est Jésus. À l’image de Jésus, il met sa force au service de l’amour. Quitte à y laisser sa peau. Oui, je pense que le défi des temps modernes est de relancer cet esprit chevaleresque.
Comme la droiture ou le sens de l’honneur ?
La droiture est associée à la clémence, une vertu du cœur. Dans les récits de Chrétien de Troyes, en particulier dans Perceval, le chevalier vainqueur d’un combat ne tue jamais son adversaire, mais le terrasse seulement. C’est le brigand qui tue sans vergogne, par-derrière si possible. Le chevalier est droit et clément. Il respecte un code et met tout son honneur à le respecter. Ce qui est frappant, c’est le sens de l’honneur tant du vainqueur que du vaincu. Les deux ont une seule parole et s’y tiennent. Aujourd’hui, on imagine mal qu’un tel code d’honneur puisse exister. Et pourtant, c’est cette absence de code qui explique partiellement le malaise des femmes et de leurs enfants vis-à-vis des hommes et des pères silencieux ou instables. Finalement, la charte de la chevalerie, avec ses exigences de dépassement de soi, de perfection et de service, renvoie le chevalier à une unique charte, la même que le Christ a vécue et enseignée : Les Béatitudes.
Comment alors accomplir sa vie d’homme ?
Il faut rester un guerrier vivant, debout. Non un soldat exécutant aveuglément les ordres d’un autre. Mais un guerrier guidé par une cause, prêt à prendre des coups et se sacrifier un guerrier capable de décision et d’initiative. Là, où il se trouve, il doit veiller à fortifier son cœur et à s’attacher à l’esprit de Dieu. C’est-à-dire laisser vivre la Vie en soi, la laisser respirer. Mais attention, ce n’est pas tout lâcher et se mettre en difficulté. Il s’agit de remettre les choses dans l’ordre. Bien sûr, l’homme a besoin de travailler pour gagner de l’argent afin de payer les factures. Jésus ne lui demande pas forcément de tout donner aux pauvres, mais d’abord de Le choisir et considérer ses biens de manière secondaire. Comme le dit saint Paul à Timothée (6, 1-16) : "Mène le bon combat, celui de la foi, empare-toi de la vie éternelle !"
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