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Quelles que fussent les possessions terrestres, "le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais", comme le note judicieusement Blaise Pascal (Pensées, Brunschvicg 210). Certaines civilisations mirent autant de soin à préparer la mort qu’à soigner la vie. Les pyramides d’Égypte nous le rappellent en nous écrasant. D’autres, comme la nôtre, à bout de souffle, longtemps irriguées par la sève chrétienne et sa vision béatifique, surent longtemps nous avertir qu’un simple carré de terre sera notre dernière demeure ici-bas. En vain : nous sommes oublieux, plus occupés à écarter la mort qu’à l’apprivoiser et à nous préparer à la prendre par la main lorsqu’elle s’imposera à notre bon souvenir.
Rendu à la terre
Le philosophe positiviste Hippolyte Taine, de passage à la cathédrale de Poitiers, fut saisi par une Mise au Tombeau sculptée polychrome telle que bien des églises en possédaient à l’aube de la Renaissance. Il écrivit dans ses souvenirs : "Je me souviens d’un beau groupe à Poitiers, dans la nef droite de la cathédrale et qui doit être du XVe siècle, à peu près contemporain des premières statues de Solesmes. C’est un Ensevelissement : le Christ, avec sa grande barbe, misérable ver de terre exténué par la douleur, desséché, privé de sa substance, rien que des os sous une peau flétrie et violacée de meurtrissures, les plaies collées" (Carnets de voyage : Notes sur la province, 1863-1865). En fut-il suffisamment marqué pour se repentir comme le fit le roi Achab après avoir tué Naboth pour le dépouiller de son champ sous l’influence de Jézabel ? (1R, 21.) Rien n’est moins sûr car il ne médita pas sur la Passion et sur ce moment terrible où le Fils de l’homme fut rendu à la terre, comme n’importe quel homme. Saint Ambroise, méditant sur la conduite malfaisante d’Achab, nous secoue par son avertissement :
Même le tombeau n’était pas à Lui
La tombe d’Alexandre le Grand est inconnue, celle d’Hadrien et de certains de ses successeurs est depuis longtemps une place forte consacrée à l’Archange saint Michel, celle d’Auguste n’est que ruines… Les rois de France, conscients de la vanité funéraire, ne firent plus ériger de cénotaphes somptueux dans l’abbatiale de Saint-Denis à la fin de la Renaissance. Lorsque le regard se porte sur le Tombeau de Notre Seigneur, alors tout le reste apparaît bien superflu. Le Sauveur n’a rien possédé sur cette terre : pas de maison — Il se reposait dans celle de saint Pierre à Capharnaüm, ou celle de Lazare à Béthanie ; pas d’instruments de travail puisqu’Il partageait ceux des Apôtres lorsqu’Il se trouvait en Galilée ; pas d’argent, puisque Judas tient la bourse commune et qu’Il demande à Pierre de pêcher un poisson pour y trouver la pièce nécessaire à l’impôt pour Lui et pour son disciple. Mort, Il ne peut être enseveli dans un caveau familial car il n’en existe point. Un ami, fidèle, généreux, Joseph d’Arimathie, met à disposition le tombeau tout neuf qu’il venait sans doute de faire creuser pour sa sépulture à venir. Il acheta aussi le linceul, tant le Maître était démuni, abandonné par ses Apôtres.
La scène de l’Ensevelissement est celle qui réunit ceux qui sont demeurés fermes dans leur amour pour le Maître.
Ainsi, le Rédempteur, venu au monde dans une grotte-étable trouvée à l’improviste, fut inhumé dans une tombe-grotte appartenant à un membre du Sanhédrin retourné par son enseignement et convaincu de sa mission messianique. En fait, la scène de l’Ensevelissement est celle qui réunit ceux qui sont demeurés fermes dans leur amour pour le Maître : la Très Sainte Vierge ; l’Apôtre que Jésus aimait, Jean ; Marie la Madeleine, tour de la foi et Apôtre des Apôtres ; Marie de Cléophas ; Marie d’Héli, Salomé de Zébédée, Marie Salomé, Salomé de Jérusalem ; Jeanne de Chusa ; Marie, mère de Marc ; Suzanne et Anne… toutes saintes femmes ; et puis Joseph d’Arimathie et Nicodème, les pharisiens docteurs, hommes justes ; et aussi, sans doute, Longin le soldat qui perça le Cœur de sa lance, et le centurion qui professa sa foi devant le Condamné expirant ; quelques autres encore peut-être ? Le Bon Larron, lui, était déjà au Paradis. Catherine Emmerich, dans ses visions prodigieuses, rapporta que le Corps du Sauveur était porté sur un brancard recouvert d’un voile qui lui fit penser à l’arche d’alliance portés par les fils d’Israël. Tel était bien ce Corps promis à la Résurrection : la Loi Nouvelle.
Il se laisse enfermer
L’inhumation est toujours le moment le plus douloureux de la séparation qu’est la mort. Cette dernière, non contente d’arracher l’être aimé de la vie, ne laisse rien derrière elle et retire même le cadavre de l’affection de ceux qui pleurent. Ce moment pathétique de la Passion du Christ a retenu la contemplation des Évangélistes car le Sauveur connaît ainsi jusqu’au bout le sort des hommes, grands ou petits. Il est aspiré par les ténèbres de la terre et rien ne subsiste de Lui, sauf quelques objets précieusement rassemblés par les femmes et confiés à la Mère des Douleurs. Le Sauveur ouvre le chemin, tout en se conformant à la destinée humaine. S’Il se laisse déposer et enfermer dans le Tombeau, c’est pour en être le vainqueur, contrairement aux pharaons, aux empereurs, aux illustres personnages tous réduits en poussière dans l’écroulement de leurs mausolées grandioses. D’une simple grotte a jailli le Sauveur dans son Incarnation. D’une simple grotte resplendira la Lumière de Pâques. Nous sommes ainsi assurés de ne pas être prisonniers de notre caverne. Nos cimetières ne sont pas des nécropoles sinistres, mais l’antichambre de la vie éternelle par la résurrection du corps. Comme les saintes femmes éplorées qui demeurent autour de la Tombe, attendons ce qui apparaissait jusqu’alors comme impossible. L’ensevelissement est le premier pas vers la libération.