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Benoît-Joseph Labre, celui que Dieu appelait toujours ailleurs

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Anne Bernet - publié le 15/04/22 - mis à jour le 08/04/24
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Pouilleux et misérable, Benoît-Joseph Labre a fui toute sa vie le confort le plus élémentaire, mais aussi le respect et la considération des hommes pour montrer que l’essentiel était toujours "ailleurs". Il est fêté le 16 avril.

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Il existe à Rome, dans l’ancien quartier de Suburre, aux temps antiques refuge de gueux, de prostituées et de voleurs, à quelques centaines de mètres du Colisée, une petite église qui, au premier regard, n’en impose guère. Elle se nomme Santa Maria dei Monti, Notre-Dame des Monts. Dans ce modeste sanctuaire repose, depuis la mi-avril 1783, un saint toute sa vie condamné à ne jamais se reposer, voué à d’inlassables pérégrinations pour le salut des âmes. C’est Benoît-Joseph Labre, venu, au terme d’invraisemblables voyages d’un sanctuaire à l’autre, mourir loin de sa Picardie natale au coin de cette via dei Serpenti, cette rue des Serpents, aujourd’hui encore si pittoresque qu’elle semble presque n’avoir pas changé depuis le XVIIIe siècle.

L’essentiel est ailleurs

Étonnante revanche de l’histoire, car l’homme que l’on vénère ici, de son vivant, a été plus d’une fois chassé de cette église sous prétexte qu’il faisait peur aux gens… Au demeurant, Benoît aura toujours été chassé de partout et, quand il ne le sera pas, il s’enfuira, éperdu de panique, chaque fois que, devinant sa lumineuse sainteté sous sa crasse et ses haillons, on s’avisera de lui faire bon accueil. On doutera de sa santé mentale, on le soupçonnera de vols et de crapuleries, d’escroquerie, de paresse, de mensonge, peut-être d’hérésie sans jamais lui arracher un mot pour sa défense. Tel quel, grandiose, impossible à imiter, il clame à son époque, et à la nôtre, enlisées dans le matérialisme, que l’essentiel est ailleurs.

Il naît à Amettes, non loin de Béthune, premier enfant d’un couple de fermiers assez aisé pour élever la nombreuse famille que le Ciel lui donnera. Sage, studieux, obéissant, respectueux, sa piété est précocement si vive que ses parents ne s’y trompent pas : leur aîné ne reprendra pas l’exploitation ; la main de Dieu est sur lui. Ces catholiques fervents ne songent pas à freiner Benoît dans une vocation qu’ils voient toute tracée. Il apprendra d’abord auprès d’un oncle prêtre, ira au séminaire, et, un jour, sera curé d’une des paroisses des environs. Cette route trop droite n’est pas celle que le Seigneur réserve au garçon.

Toujours plus loin

Le tout jeune clerc si édifiant est dévoré de scrupules si violents qu’il se prend pour le pire des pécheurs et n’ose pas communier. Ses mortifications perpétuelles ne le rassurent pas ; pour sauver un coupable comme lui, il faut, au moins, la vie monastique la plus sévère et les plus grandes pénitences. À la désolation de ses parents, il déclare qu’il sera chartreux, ou mieux encore, trappiste, mais, à la chartreuse comme dans les trappes de Soligny et de Sept-Fons, il faut finalement lui montrer la porte tant, en dépit de ses efforts, il se montre incapable de se faire à une vie communautaire trop douce à ses yeux. Ailleurs, toujours plus loin, peut-être un autre monastère voudra-t-il bien de ce novice par trop singulier… 

Dans un élan d’exaltation, il a fait vœu de ne jamais rentrer chez lui ni revoir sa famille, ses confesseurs admettent la validité de ce sacrifice.

Cet autre monastère, Benoît ne le trouvera pas. Pourquoi ? Il n’en sait rien et en souffre. Dans un élan d’exaltation, il a fait vœu de ne jamais rentrer chez lui ni revoir sa famille, ses confesseurs admettent la validité de ce sacrifice. Mais que faire de ce garçon qui ne veut pas être du monde et ne peut s’enfermer dans le cloître ? Un directeur de conscience lui donne alors un étrange conseil qui correspond, en fait, parfaitement aux vues divines sur le jeune homme : aller en priant de sanctuaire en sanctuaire, dépouillé de tout, libre, vivre de l’air du temps plutôt que de la charité, et, partout où il passera, demander sa voie au Bon Dieu, à Sa Mère et ses saints.

Clochard lamentable

Benoît prend la route. Pèlerin infatigable, il parcourt la France, l’Italie, la Suisse, l’Autriche, l’Espagne. Parce que sa jeunesse, sa bonne éducation, ses connaissances, dénoncent le fils de bonne famille, et que certains le traitent trop bien, il décide de ne plus se laver… Crasseux, puant, couvert de poux et de vermine, la barbe drue, les cheveux longs et sales, clochard lamentable enveloppé de loques ridicules, coiffé d’un chapeau vert cabossé, mais refusant l’aumône offerte, il marche, marche. Parce qu’il a fait vœu d’obéissance, il entre là où on lui dit d’entrer, mange ce qu’on lui dit de manger mais n’est heureux que lorsque, dégoûtés, les gens le chassent, l’accusent de crimes improbables et que les gamins lui jettent des ordures… 

Est-il fou ? Non. Il vit l’imitation de Jésus-Christ, comme nul peut-être avant lui n’a osé la vivre. "À quoi pensez-vous donc ?" lui demande un jour une religieuse compatissante qui le trouve absorbé dans des pensées si profondes qu’il ne semble ni voir ni entendre ceux qui l’entourent. La réponse jaillit, splendide et déconcertante : "À la sainte couronne d’épines." Quelques prêtres, d’abord méfiants devant celui qu’ils prennent pour un illuminé, un tartuffe, puis décontenancés par son inatteignable pureté, devinent chez cet errant un messager du Ciel sans parvenir à décrypter l’enseignement mystérieux qu’il dispense à son temps. Plus clairvoyantes, les femmes, laïques ou religieuses, alors même que, dans sa peur du péché, Benoît ne lève jamais les yeux sur elles, savent que cet épouvantail est puissant sur le cœur de Dieu et le supplient de prier pour elles et les leurs. 

Semeur de miracles

Parfois, sans qu’il le veuille, ce pouvoir échappe au contrôle de Benoît. Là, c’est un malade qui guérit à l’improviste parce qu’il a posé sa main répugnante sur la sienne ; ici, une prophétie imprévue, tel ce "trésor" qu’il devine caché chez ses hôtes, et qui sera à l’origine d’une des plus grandes fortunes françaises ; près de Lyon, dans une ferme accueillante, il affirme aux futurs grands-parents du curé d’Ars, qu’une bénédiction viendra sur leur maison. En d’autres occasions, il annonce, avec beaucoup de précisions, la Révolution et ses drames.

Ce pouilleux sème les miracles sous ses pas.

Quand s’ouvrira sa cause de béatification, il se trouvera bien des gens pour jurer devant Dieu l’avoir vu en extase, visage rayonnant, léviter au-dessus du sol. En fait, ce pouilleux sème les miracles sous ses pas. Le plus joli d’entre eux, le plus durable aussi, a lieu dans un village proche de Fabriano où Benoît est allé vénérer le tombeau de saint Romuald. Il pleut à verse. Sur le seuil d’une bicoque, une femme en deuil, les yeux rougis de larmes, manifestement enceinte, regarde passer ce cheminot et, prise de pitié, malgré son propre dénuement, l’invite à entrer se mettre au sec. Contrairement à ses habitudes, Benoît sort de son habituel silence et, dans un italien approximatif, s’enquiert des malheurs de son hôtesse : le mari, couvreur, mort accidentellement peu avant en tombant d’un toit, plus d’argent, deux enfants à nourrir, un troisième sur le point de naître. Qui y pourvoira ? Il trouve les mots pour assurer que la Providence n’abandonne pas ceux qui se confient à elle ; les angoisses de la mère s’apaisent, les enfants rient. 

« Il faut avoir trois cœurs »

Alors, Labre, qui, d’ordinaire, ne demande jamais rien, implore l’aumône d’une aiguillée de fil pour recoudre ses loques ; la veuve la lui donne, contente de découvrir qu’en sa détresse, elle peut encore secourir plus pauvre qu’elle. À côté habitent trois sœurs, ses voisines et amies ; l’une d’entre elles, Vincenza, souffre depuis neuf ans d’une maladie incurable qu’elle supporte de plus en plus mal. On lui raconte l’arrivée de l’étrange pèlerin, qui parle si bien de Dieu, elle demande à le voir. Benoît se rend à son chevet, lui assure qu’elle "passera de son lit au Ciel", si elle sait aimer Dieu. Mais comment faut-il aimer Dieu ? Dans un italien brusquement impeccable, le jeune homme répond : 

Des obsèques de saint

Programme inimitable sans doute, mais qui résume toute la vie de Benoît-Joseph. Certaines d’avoir affaire à un grand saint, ses hôtesses le supplient de lui laisser un souvenir. Benoît prend un papier, une plume, écrit en latin une prière qui commence par ces mots : "Jésus-Christ, Roi de gloire, est venu en paix…" Et c’est tout. En d’autres endroits, sans même y penser ni l’avoir voulu, il est arrivé à Benoît d’opérer des miracles. Ce ne sera pas le cas, Vincenza ne guérira pas, elle mourra, elle ira en paradis, et cela seul importe. En revanche, quand il a fini d’écrire sa prière, dans ce latin que les pauvres femmes ne savent pas mais que cet étrange mendiant possède parfaitement, il leur assure que, si elles la récitent chaque jour "avec foi", leurs maisons charitables et accueillantes ne craindront plus jamais ni le feu ni la foudre ni les tremblements de terre. Elles le croient, et elles ont raison puisqu’en 1781, un séisme ravagera la région mais épargnera les demeures où l’on dit la prière de Benoît.

Depuis longtemps, lui s’en sera allé finir sa courte vie à Rome. Le 16 avril 1783, quand ils apprennent sa mort, les gamins du quartier qui, tant d’années, l’ont persécuté, insulté, moqué, s’éparpilleront dans les rues de la Ville en criant : È morto, il Santo ! "Le Saint est mort." On lui fera, en effet, des obsèques de saint. Le cardinal de Bernis, ambassadeur de France à Rome, mal inspiré, écrira à Louis XVI que le culte invraisemblable rendu à ce mendiant pouilleux mais hélas français, couvrira la France de honte et de ridicule. Tout au contraire, Benoît-Joseph la couvrira de gloire.

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