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Dans un missel de Salzbourg de 1481, l’enlumineur Berthold Furtmeyr invite son lecteur à contempler une miniature qu’on connaît sous le nom de L’Arbre de la vie et de la mort. Au centre se trouve cet arbre dont le vert feuillage contient, à gauche, un crucifix, à droite, une tête de mort. L’arbre de la connaissance du bien et du mal du jardin d’Éden et l’arbre de la Croix du Calvaire sont comme fusionnés en un arbre unique.
Sous l’arbre, à droite, se trouve Ève, dans toute sa nudité coupable, qui recueille de la bouche du serpent enroulé autour du tronc un fruit de péché et de mort, qu’elle distribue à une procession de damnés surveillés par un démon, comme une sinistre messe noire. C’est un rituel infernal, auquel Adam assiste encore abasourdi d’avoir succombé à la tentation, ne sachant pas encore de quel côté de l’arbre il se dirigera. Sous ce même arbre, à gauche, la Vierge Marie ou peut-être l’Église, revêtue d’une robe bleue et coiffée d’une couronne, recueille au pied de la Croix un fruit de vie qui semble être une larme pleurée par Jésus crucifié. Mais cette larme pleurée par amour s’avère une hostie consacrée, le corps du Christ, qu’elle distribue à une procession de baptisés. Un ange veille avec bienveillance sur cette procession de communion qui anticipe la liturgie céleste.
Que nous enseigne cette enluminure ? D’abord que le fruit de mort cueilli par Ève lors du péché originel continue de nourrir des foules. Elles n’en sont pas rassasiées, et pourtant elles en vomissent car l’homme n’est pas fait pour laisser le péché entrer en lui. Encore moins est-il fait pour la mort. Mais l’enluminure nous enseigne surtout que le fruit de vie cueilli par la Vierge Marie au pied de la Croix nourrit des foules plus grandes encore à chaque eucharistie. Et ce fruit demeure en chacun de nous car nous sommes faits pour être des tabernacles vivants où Jésus se plaît à habiter avant de nous faire habiter en lui pour la vie éternelle. Nous sommes faits pour la vie. À la Croix, Jésus s’est livré tout entier par amour pour le salut du monde. Au poison du péché qu’Ève a répandu parmi les hommes en cédant à la suggestion du démon au venin mortel, Jésus répond par les antidotes que sont le baptême et l’eucharistie. Sur la Croix, Jésus le vrai médecin a communiqué à tous les hommes le médicament de sa grâce.
La médiation de Marie et de l’Église
Il faut désormais que tous les hommes puissent se saisir de ce médicament. Et l’enluminure de Furtmeyr suggère à juste titre qu’on ne saurait y accéder sans la médiation de la Vierge Marie et de l’Église, qui sont le canal indispensable pour obtenir ce divin médicament de la grâce. S’il n’y avait la Vierge Marie et l’Église pour nous communiquer la grâce dans leur tendresse maternelle, nous serions privés de ce médicament universel qui non seulement guérit le pécheur mais lui donne de participer de la vie même de Dieu en attendant de le rejoindre dans la gloire.
Pour compléter sa miniature, l’artiste aurait pu ajouter à droite le glaive de feu de l’ange fermant les portes du Paradis dont l’éclat n’aurait pu rivaliser avec celui, à gauche, de la lance du centurion qui ouvre le côté de Jésus crucifié pour que s’y engouffrent les pécheurs pardonnés qui accèdent par là à la gloire du Ciel. Dieu le Père expliquait en effet à Catherine de Sienne : "J’ai voulu que le côté de mon Fils unique fût ouvert, pour te faire voir le secret du cœur. Je l’ai disposé, comme un asile toujours ouvert."
Une opération à cœur ouvert
Dieu le Père est un chirurgien qui opère dans l’hôpital de campagne qu’est l’Église, et cette opération ne peut viser qu’au cœur, celui de Jésus-Christ qui est donneur universel et compatible avec tous. L’Église, qui recueille au pied de la Croix l’eau du baptême et le sang de l’eucharistie qui s’échappent du côté du Christ, est née de cette opération à cœur ouvert. C’est pour cela que l’appartenance à l’Église est toujours douloureuse en même temps qu’elle sauve. Et si l’on revient à l’arbre de la Croix, il convient de se rappeler : le médicament miraculeux qui nous est communiqué là est doux comme le miel mais il a été plongé d’abord dans le fiel et le vinaigre par les soldats romains. C’est pour cela qu’avant de produire pleinement son effet, nous pouvons en ressentir un goût amer.
Dans l’enluminure de maître Furtmeyr, il manque au moins un personnage au pied de la Croix : le disciple que Jésus aimait. Du reste, l’Évangile ne nomme pas cet unique disciple demeuré jusqu’à la fin avec la Vierge et Marie-Madeleine. La Tradition y reconnaît saint Jean et elle n’a sans doute pas tort. Mais si Jean lui-même, en rédigeant son Évangile sous la motion de l’Esprit-Saint, a tenu à demeurer anonyme, ce n’est pas par hasard. Il fallait que ce disciple demeure inconnu. Sur la Croix, Jésus laisse son cœur ouvert à l’inconnu. Tout homme peut s’y réfugier.