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En assassinant son frère Abel, Caïn devient une figure biblique — et emblématique — de la violence fratricide. Chez les Latins, Romulus tue Rémus avant de fonder Rome, et dans la mythologie grecque, Étéocle et Polynice s’entretuent pour gouverner Thèbes. La mémoire mythique des peuples méditerranéens foisonne de terribles conflits. À travers le mythe aztèque de Teotihuacan, la mythologie scandinave, ou encore la royauté sacrée chez les peuples primitifs, René Girard a montré le caractère universel du conflit, en scrutant comment la violence est sous-jacente aux mythes et aux rites… Ne croyons pas une minute que ces récits ou ces rites violents sont des élucubrations préscientifiques qui n’apportent aucune lumière sur nos propres conflits contemporains : ils pointent au contraire des aspects essentiels qui font comprendre pourquoi la violence nous domine trop souvent. La lecture acérée de René Girard décrypte les textes et les gestes pour nous en révéler les enjeux. En voici quelques exemples.
Nous sommes le plus souvent violents avec ceux qui nous sont le plus proches. Caïn et Abel sont des frères, ainsi que Romulus et Rémus ou qu’Étéocle et Polynice… l’Ukraine et la Russie aussi ! Alors même qu’elle devrait produire des liens de fraternité, de complicité, cette proximité crée la dissension. Comment cela est-il possible ? C’est que l’être humain est mimétique, il désire ce que l’autre désire : sans une sagesse très attentive à ce processus, la rivalité s’insinue dans nos relations, et par un effet de spirale, peut conduire à une lutte acharnée.
La méconnaissance du persécuteur
La violence d’un conflit a quelque chose d’incompréhensible : on y entre d’une façon irrésistible tant que l’on n’a pas compris son mécanisme. D’abord, le persécuteur a besoin de trouver un bouc émissaire pour expulser la violence qui est en lui. Les "bonnes raisons" du conflit sont inventées pour la rendre légitime. Rappelons-nous les termes utilisés par Vladimir Poutine pour justifier son agression de l’Ukraine et qui touchent à sa "dénazification" : ils ne résistent pas à l’examen. Une victoire de la Russie pourrait instaurer cette version au détriment de la vérité historique. Ensuite, l’aveuglement du persécuteur n’est pas seulement une auto-persuasion, une construction qui masquerait son intention. Cet aveuglement est une méconnaissance : le persécuteur ne se rend pas vraiment compte de ce qu’il fait, il obéit à une injonction qui le dépasse, il est le jouet d’une violence diffuse.
La puissance de la lecture girardienne vient du fait que personne ne peut vraiment échapper à la violence persécutrice. Moi-même, voulant montrer en quoi Vladimir Poutine est le jouet de forces violentes qui le dépassent, je me situe en dehors, au-delà du processus violent que je réprouve. Je pourrais faire croire qu’il est toujours possible de se construire une niche imprenable pour distribuer les bons et les mauvais points. Erreur ! Le plus perspicace en matière de déconstruction de la violence peut se transformer en bourreau du fait même qu’il se croit préservé. C’est donc à une métanoia, c’est-à-dire une conversion du regard que nous convie René Girard : renoncer à l’attitude d’accusateur. Aussi déconcertante que puisse paraître une telle affirmation, et même déraisonnable au premier abord, elle délivre l’humanité du mal qui la ronge, et pour René Girard, l’essentiel du message biblique est là. Une manière de dire, qu’en matière de conflit violent, les techniques ne créent pas la solution, elles ne sont jamais que des pis-aller. La seule voie est intérieure et probablement spirituelle. En sommes-nous capables ?