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Le nid familial (1979) et L’Outsider (1981) sont les premiers films du réalisateur hongrois Béla Tarr. Il y raconte le quotidien de personnages toujours baignés dans une atmosphère populaire, la caméra plongée parmi eux, si bien que chaque réplique semble être captée au détour d’une tranche de vie réelle. Il prend son temps pour les dire et les voir, parfois trop, ce qui demeure sa marque de fabrique. Pas de trucage chez lui ni de personnage fabriqué exprès pour faire tenir une intrigue. Mais une immersion chez le commun des mortels.
Considéré comme proche de Tarkovski dans ses derniers films, ceux-ci ont gagné en puissance, grâce au passage en noir et blanc, à la dilatation du temps, au silence, et à l’introduction de longs plans séquence, qu’il ne quittera plus. C’est le cas de Damnation (1988), filmé un peu dans la même veine que Le cheval de Turin (2011), film splendide, dur et d’une grande portée métaphysique, pour lequel il a reçu l’Ours d’Argent au festival de Berlin. Ce tout dernier film contenait l’apothéose de son art, plus subtil qu’à l’accoutumée, plus concentré sur l’intention et plus marquant encore que tous les autres. Et c’est le plus recommandable à aller voir en salles.
C’est un film sur l’impossibilité d’échapper à sa vie ou d’en changer le cours, sur le temps qui passe. L’on y suit un homme un peu désœuvré, brûlant le temps entre l’alcool et les cafés, et poursuivant l’amour d’une femme très volage. Une femme plus âgée joue la voix de la sagesse, récitant ici un passage entier de la Bible à cet homme, lui donnant là des conseils avisés. Si Béla Tarr n’a pas l’ambition spirituelle d’un Tarkovski, à cause de son athéisme et du réalisme parfois désenchanté de ses histoires, son esthétique ose en tout cas la virtuosité, à travers la perfection de la lumière par exemple. Certains plans séquence de Damnation sont d’une beauté à en pleurer.
Sublimer l’homme simple, par respect pour la vie
Le réalisateur aime à essaimer au cœur de dialogues anodins de vraies pensées. Dans L’Outsider, il fait par exemple tenir à l’un de ses personnages un discours sur la nécessité de ne pas se marier pour les artistes, qui doivent se consacrer à leur art, comme Beethoven l’a fait. Mais les dialogues restent anecdotiques dans son cinéma, même s’ils sont sans commune mesure. Ce qui le distingue, c’est sa manière de filmer, d’aller vers l’histoire sans jamais tomber dans des poncifs, ou dans la rapidité moderne.
L’un des derniers cinéastes audacieux du cinéma, à même pas 60 ans, avait décidé d’arrêter de poursuivre son œuvre. Faute de moyens et de soutien, et par manque d’énergie, aussi. Les producteurs et distributeurs ont effectivement de moins en moins d’égards pour cette forme d’art, le véritable 7e art, et n’ont d’yeux que pour leur argent, celui qu’il faudra dépenser et celui qu’il faudra faire rentrer. Faute, aussi, de public. Et, en effet, son cinéma est difficile et suppose la patience. Lui qui sait si bien filmer les gens simples, le peuple, les rendant beaux, humains, splendides mais surtout vrais sous sa lumière et sa photographie, n’a jamais su gagner l’estime de ces gens-là, qui lui préfèrent le cinéma dit populaire. Et pourtant, que d’âmes pourrait-il toucher.
Il n’est nullement besoin de connaître le cinéma ou d’être cultivé pour pouvoir savourer et méditer son œuvre. Les films contemporains n’ont quasiment aucune image à garder en mémoire, celles dont on se souvient des années plus tard, depuis l’enfance parfois. Mais il faut se rappeler que le cinéma est aussi là pour laisser en dépôt quelque chose dans le spectateur, pas seulement pour le distraire. Tout comme on aime à se souvenir de ce qu’un livre a laissé en nous, un film a la même vocation.