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Ces jours-ci, un parfum inédit de fin de règne flotte dans l’air. La réélection d’Emmanuel Macron, tenue par tous commentateurs pour acquise il y a peu, est en train de devenir une hypothèse moins probable. La fin de la campagne s’annonce agitée, et son issue, imprévisible. Parmi les grains de sables qui peuvent tout changer, se trouve ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire McKinsey ». De quoi s’agit-il ?
L’État, c’est devenu une habitude, passe des commandes à des consultants extérieurs pour se faire aider à se réformer, ou tout simplement à fonctionner. La pratique est banale chez toutes les grandes entités, publiques ou privées, dont la masse critique est source de lourdeurs internes et qui croient utile de se donner de l’air frais. Elle est souvent une solution de facilité. Dans les années 1980, par exemple, la direction générale des impôts recourait beaucoup à l’expertise du cabinet Francis Lefebvre, ce qui faisait sourire dans les dîners en ville : « Les gens de Rivoli (Bercy n’existait pas encore) rédigent des dispositifs tellement clairs qu’ils ont besoin de Lefebvre pour se faire expliquer ce qu’ils ont écrit ! » disait-on.
La grande — et décevante — réforme administrative du quinquennat Sarkozy, la « Révision générale des politiques publiques » (RGPP) lancée en 2007, fut en grande partie l’œuvre de cabinets privés dont les collaborateurs campaient à Bercy et travaillaient pour le compte d’une « direction générale de la modernisation de l’État » (DGME) qui fut surtout une machine à passer des commandes. Plus étonnant encore, et moins connu, la Cour des comptes, dont on pouvait imaginer qu’elle disposait en son sein de quelques spécialistes, s’est mise elle aussi à recourir à des auditeurs privés pour certifier les comptes des entités publiques. Et ce fut encore un cabinet privé, le Boston Consulting group, qui concocta dans les années 2010 la transformation — notoirement ratée — des agences de l’hospitalisation en agences régionales de santé (ARS). Les consultants se sont mis à prospérer comme du lierre sur le vieux tronc régalien de l’État : ils ont donné l’illusion de la verdeur mais ont dévitalisé la plante.
Le phénomène s’est emballé
Peu à peu, l’État s’est drogué à la délégation des tâches, au « faire faire » plutôt qu’au faire, tellement plus ascétique, et cela lui a coûté beaucoup d’argent : il fallait payer à la fois les fonctionnaires qui passaient les commandes et les consultants qui faisaient le travail des fonctionnaires. Le phénomène s’est emballé sous le quinquennat d’Emmanuel Macron : les commandes aux cabinets extérieurs ont atteint presque 1 milliard d’euros en 2021, montant multiplié par deux en quatre ans. La réforme inaccomplie des retraites a donné lieu à une commande de plus de 900.000 euros euros de la Caisse nationale d’assurance vieillesse au cabinet McKinsey. À ces 900.000 euros, il faut ajouter la facture des Gilets jaunes, car le projet de McKinsey se révéla absurde et provocateur.
Le sujet n’est pas anodin. Il interroge ce que nous sommes, nous Français.
L’affaire est en train de virer au scandale. La classe politique fait mine de découvrir cette pratique, de s’inquiéter de son coût, des risques de conflits d’intérêt qu’elle comporte, de la situation de délabrement de l’État qu’elle révèle. Le Président de la République, mis en cause, retrouve les réflexes maladroits qui avaient fait prospérer l’affaire Benalla au début de son mandat : il nie, il menace, il s’emporte. McKinsey pour Emmanuel Macron pourrait bien devenir ce qu’ont été les diamants de Bokassa pour Valéry Giscard d’Estaing : le déclencheur d’une inéluctable fin de règne.
Il ne faut pas jouer avec l’État
Le sujet n’est pas anodin. Il interroge ce que nous sommes, nous Français. En France, il ne faut pas jouer avec l’État. Quelle que soit l’issue des élections, il faudra d’urgence reconstruire et crédibiliser nos administrations. L’État n’a pas toujours été une machine à verser l’argent du contribuable français à des cabinets anglo-saxons attelés au travail de standardisation du monde. En 1986, par exemple, le gouvernement Chirac avait lancé une opération de modernisation qui lui a permis de faire baisser à la fois les déficits et les impôts, ce que personne n’a réussi depuis. Il n’a eu recours à aucun cabinet anglo-saxon, à aucun audit externe, mais à l’Inspection générale des finances et à une Mission d’organisation des administrations centrales composés de fonctionnaires, la « Modac », qui n’a rien coûté, proposa des réformes réalistes et permis, entre 1986 et 1988, de réduire fortement la dépense publique. Il est vrai qu’à l’époque, Emmanuel Macron était à l’école primaire. Il ne peut pas savoir.