Est-ce l’accentuation des dangers et des tensions tout autour de nous ? Il est des moments où le temps prend une densité toute particulière. Où l’on s’arrête à contempler une scène apparemment anodine tant, sans doute, le banal nous rassure, nous console. Quelque chose de l’ordre du désir de se réfugier dans la vie ordinaire : celle, la seule, sur laquelle on ait une quelconque prise. Souffler la bougie d’un anniversaire, se dire que l’on s’aime. Parler doucement de choses et d’autres plutôt que de se laisser habiter par des paroles extérieures qui menacent et même parfois paralysent. Être fidèle à la parole donnée pour des choses ordinaires quand tant n’y attachent plus d’importance. Maintenir sa route quand on vous susurre de faire demi-tour...
La joie d’être présent
C’est en repensant à tout cela que je contemplais ce matin un couple de paroissiens venus participer à un temps de rencontre et de partage sur ce que nous voulions bâtir ensemble dans notre paroisse pour mieux y témoigner de l’amour de Dieu à tout homme. Ils sont âgés l’un et l’autre, courbés sur leurs cannes, avançant à petit pas, précautionneux mais décidés. Ils sont là, souriants, dans le matin glacé, sous les voûtes très fraîches de l’église. Ils sourient au milieu des autres, de tous âges. Ils ne sont pas les derniers à s’approcher, se présenter, retrouver des amis, en découvrir peut-être d’autres aussi. Ils s’assoient, se lèvent, vont, viennent, prient, partagent, célèbrent, réfléchissent, commentent, se souviennent et imaginent. Ils n’ont pas renoncé. Malgré l’âge, la fatigue, les courbatures, ils vivent le jour venu avec passion et gourmandise, enthousiasme et désir.
Ils goûtent d'être là. Goûter d’être là, simplement, sans retenue.
N’est-ce pas magnifique la vie que l’on accueille ainsi du premier au dernier jour avec joie et envie ? Cette vie qui coule en nous et que nous ne pouvons ni retenir, ni contenir. Eux ne nous noient pas dans leur mémoire, ils ne nous perdent pas dans leur futur. Ils goûtent d'être là. Et c’est l’essentiel. Goûter d’être là, simplement, sans retenue. Et cela tombe bien car c’est précisément là que le Tout Autre nous rejoint, au plus intime de nous-même. Il ne se lasse pas d’entendre les battements de nos cœurs : chacun d’eux est une merveille, un miracle car il nous dit que nous existons, que nous sommes.
Le seul temps véritable
Le présent est en fait le seul temps véritable, le seul garanti, le seul profitable. Il a l’épaisseur de notre volonté. Mais il est aussi le temps de la miséricorde : il nous est toujours accordé pour que cette volonté, qui fait souvent défaut, puisse se ressaisir et nous donner d’être digne de ce jour de grâce.
Le présent est un cadeau. Le Cadeau véritable est toujours présent. Un homme, une femme, appuyés sur leurs cannes, se tenaient vaillamment sous le soleil de midi, bien décidés à vivre ce jour dans tout ce qu’il leur porte de possible. Ils nous invitent, chacun, à ne pas nous embrumer dans les espoirs de lendemain qui chantent ou les nostalgies de passé révolus. Mais à nous engager, ici et maintenant, pour vivre avec bonheur ce temps qui veut nous mettre en communion toujours plus grande avec Celui qui est présence éternelle à chacune de nos vies.