Paray-le-Monial, 1675. Il est encore tôt lorsque le père Claude La Colombière se rend au couvent des visitandines. Alors que le soleil se lève tranquillement sur la petite ville, Claude songe aux religieuses dont la santé spirituelle lui a été confié. Puisque c’est la mission qu’on lui a donné, il compte bien prendre soin des petites épouses du Christ qui travaillent et prient à longueur de journée. Claude prend une longue bouffée d’air, inspirant le vent glacial de la matinée. Un étrange pressentiment lui vient. Quelque chose d’étrange et d’extraordinaire l’attend ici, dans ce lieu reculé. Il se hâte vers le couvent pour prendre place dans le confessionnal. À peine prend-il place, qu’une religieuse le rejoint, et s’agenouille. C’est sœur Marguerite-Marie Alacoque. Claude l’a déjà remarquée. Elle est souvent à l’écart, le regard perdu comme si elle contemplait quelque chose d'invisible aux autres. Mais une fois la confession terminée et l’acte de contrition récité, Marguerite-Marie ne bouge pas.
- Quelque chose vous tracasse, ma sœur ?
- Mon père, je vous dois des aveux. Il y a quelque temps, le Christ, notre Seigneur, est venu me voir.
L’espace d’un instant, Claude retient son souffle. On lui a appris à être prudent vis-à-vis des visions. Et la mère supérieure l’avait prévenu des soi-disant expériences mystiques d’une des sœurs. Mais le sentiment de ce matin le tient en haleine. Il écoute attentivement les révélations de la religieuse.
Marguerite-Marie lui parle du Christ qui lui murmure depuis longtemps à l’oreille. Elle s’attarde sur le cœur couronné d'épines et surmonté d’une croix que Jésus lui a montré. Sa mission est de rappeler à la France l’amour que Dieu lui porte.
- Vous dites entendre le Christ depuis longtemps. Pourquoi ne le confier que maintenant ?
- Je vous attendais. Le Seigneur a dit que je pourrais faire confiance à son serviteur fidèle et ami parfait.
Les paroles de Marguerite-Marie raisonnent en son âme même. Tout en lui le somme de croire à cette visite si particulière entre le Christ et la visitandine. Les mots de cette dernière transmettent sans fautes tout l’amour que Jésus a pour les hommes. Mais surtout, quel honneur que le Christ l’ait appelé son ami.
Claude La Colombière et Marguerite-Marie, deux piliers du Sacré-Cœur
Les larmes piquent les yeux de Claude. Avant même cette rencontre, il écrivait dans son journal :
Je veux que mon cœur ne soit désormais que dans celui de Jésus et de Marie, ou que celui de Jésus et de Marie soient dans le mien afin qu’ils lui communiquent leurs mouvements, et qu’il ne s’agite et qu’il ne s’émeuve que conformément à l’impression qu’il recevra de ces Cœurs.
Marguerite-Marie est une révélation pour Claude. Le jésuite se joint à elle sans attendre pour demander la dévotion au Sacré-Cœur. Il devient un allié de taille grâce à sa prestance et sa sagesse. Chacun trouve en l’autre ce qu’il attendait. Pour Marguerite-Marie, un allié qui croit en ces visions. Pour Claude, une messagère de Jésus qui lui confirme la justesse de sa dévotion. Et en juin de cette année, les deux se consacrent au Sacré-Cœur.
À peine un an plus tard, Claude quitte Paray-le-Monial pour l’Angleterre mais continue d’écrire à sa fille spirituelle. Face à l’incrédulité et les obstacles, ils se soutiennent mutuellement dans leur combat pour l’amour du Christ. Accusé à tort de trahison, Claude passe un mois en prison en Angleterre. Ceci affecte fatalement sa santé et il rend l’âme en 1682, six ans avant Marguerite-Marie. Il est canonisé en 1992 par Jean-Paul II, et elle, en 1920 par Benoît XV. La propagation de la dévotion au Sacré-Cœur fut un long combat qui porte encore aujourd’hui ses fruits.