Le martyr chrétien est victime et non bourreau
Passons rapidement sur le bréviaire, que l’étymologie autorise certes à utiliser pour tout texte abrégé. On suppose qu’il s’agit de signifier que le djihadiste s’en tient à quelques formules apprises, susceptibles de donner la certitude d’avoir raison face à toute objection. Je ne suis pas sûr que celui se nourrit du matin au soir du chant des psaumes, qui écoute les mises en garde des prophètes et qui appelle Dieu « notre Père » fasse preuve de psittacisme. Le bréviaire fait-il de l’homme un perroquet ? S’il fallait rester dans la métaphore des oiseaux, il est sans doute plus proche du paon qui demande à Dieu de le faire moineau ou du vautour qui sait que seul l’Esprit Saint peut l’aider à devenir colombe. Qu’on ne compte pas sur lui pour devenir le pigeon du premier faux-prophète qui passe.
Le martyre, répondit judicieusement l’Église, ne peut être recherché pour lui-même : il ne se prend pas, il se reçoit.
Pour ce qui est de « glorifier les martyrs », heureux le chrétien qui y pense. C’est la plus sûre manière pour lui de ne pas devenir fanatique ! Il faut dire que le mot n’a pas le même sens que dans la tradition musulmane. Non seulement le martyr chrétien est victime et non bourreau, mais l’Église a condamné dès les premiers siècles toute recherche de la mort, même comme victime prétendant par-là mieux s’unir au Christ. Face aux persécutions, certains chrétiens exaltés estimaient qu’aller au-devant du persécuteur leur permettait de démontrer à tous la force de leur foi et, en outre, de rejoindre Dieu plus vite. Le martyre, répondit judicieusement l’Église, ne peut être recherché pour lui-même : il ne se prend pas, il se reçoit. La fanfaronnade ne vaut guère mieux que la fuite ; elle peut même être une autre forme de fuite, une façon d’en finir le plus vite possible avec un combat spirituel quotidien qu’on n’a plus le courage de mener.
« Quelqu’un qui est resté »
Aux lendemains de la mort des moines de Tibhirine, le père Jean-Pierre Batut, futur évêque de Blois, eut ces mots simples et inspirés au cours d’une homélie à l’église Saint-Gervais de Paris :
Compris ainsi, glorifier les martyrs ne rapproche pas du terrorisme, mais en éloigne ; c’est l’antidote à la tentation d’en découdre qui sommeille peut-être en chacun. Au fond, le martyre n’a pas grand’chose à voir avec la mort. Du moins, on s’empêche de le comprendre, si on fait de la mort le critère principal. C’est le sens de cette mort qui change tout, parce que notre regard sur la mort n’est pas différent de notre regard sur la vie. Pour savoir ce qui nous fait vivre, il suffit de chercher ce pourquoi nous sommes prêts à mourir. Le père Batut le relevait aussi :
Porter du fruit
Rechercher le martyre condamne donc à le caricaturer, parfois au point de se convaincre qu’on est victime et non bourreau. En outre, rechercher la mort ne va pas sans un mépris de la vie et de Dieu qui nous l’a donnée. On ne peut guère porter du fruit quand on hait la terre où l’arbre est planté. Telle est la certitude que le père Batut avait puisé dans la Parole de Dieu. Il faisait sûrement un meilleur usage de son « bréviaire » que Salah Abdeslam.