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Début 1986, Pierre Desproges commentait ainsi une nouvelle entendue à la radio : "Le 23, il fait 9 degrés à Massy-Palaiseau. On n’avait pas vu ça, un 23 janvier, depuis 1936. Et je pose la question : Qu’est-ce que ça peut foutre ?" Chez Desproges, la provocation est rarement gratuite ; elle cache une leçon de moraliste féroce. Derrière sa question brutale, Desproges vise avec justesse l’obsession de la statistique comparative. Le record de température exprime la recherche du scoop même dans la pure insignifiance, la frénésie contemporaine du record en toute chose, la culture du Guiness, la surmédiatisation des chiffres.
"Faire du chiffre"
Ainsi, à flots continus, gouvernants et journalistes nous abreuvent-ils des nombres de cas déclarés de Covid. Cent mille, deux cent mille, trois cent mille par jour. Pour un peu, on entendrait certains crier : "Le million ! Le million !" À l’annonce régulière de nouveaux records — d’autant plus faciles à battre que deux millions de tests sont pratiqués chaque jour — , il devient manifeste que le but, plus que d’informer, est de maintenir un climat d’angoisse. Quand on pense qu’il est de bon ton, depuis des lustres, d’ironiser sur l’Église médiévale censée fonder son pouvoir sur une pastorale de la peur... Peu importe que l’immense majorité des cas soient bénins. Les chiffres font foi, pour un monde qui n’a foi qu’en les chiffres. Et les chiffres doivent avant tout faire peur. Ceux qui endossent le plus nettement le rôle du mauvais chœur tragique ajouteront un adjectif : "Un triste record." Quand des médecins conseillent eux-mêmes d’arrêter de tester à tout va, on est en droit de penser que la priorité, y compris d’un point de vue sanitaire, est de sortir de la névrose collective.
Mille fois, par le passé, des intellectuels ou des hommes politiques ont dénoncé la volonté de certains gouvernants de "faire du chiffre".
Mille fois, par le passé, des intellectuels ou des hommes politiques ont dénoncé la volonté de certains gouvernants de "faire du chiffre", par exemple à propos d’arrestations de délinquants. L’exhibition obsédante de nouveaux records de contaminations pourrait bien relever d’une logique similaire, bien qu’adaptée. Les chiffres de délinquants arrêtés visent à prouver que le gouvernement est déjà efficace ; les chiffres de contaminés cherchent à persuader que le gouvernement est en droit de tout mettre en place pour devenir enfin efficace, malgré les irresponsables qui gênent son action et sans lesquels, cela va de soi, l’épidémie aurait pris fin depuis longtemps.
La logique du bouc émissaire
Un non-vacciné, puisque irresponsable, n’est plus un citoyen, a déclaré le président de la République. La déclaration a été largement commentée, mais on pourrait aussi demander à Emmanuel Macron la liste des irresponsables de notre pays. Outre les non-vaccinés, on doit pouvoir compter les fumeurs, les alcooliques, mais aussi ceux qui ont déjà roulé à 132 km/heure sur l’autoroute (davantage irresponsables, d’ailleurs, car eux enfreignent la loi) ou ceux qui ont déjà traversé la route hors d’un passage piéton. N’oublions pas ceux qui roulent au diesel, ceux qui jettent du carton dans leur poubelle de déchets et, bien sûr, ceux qui préfèrent les frites grasses aux haricots verts.
Je laisse à d’autres compléter la liste des irresponsables, mais on peut au moins ajouter ceux qui ont successivement déclaré que les masques étaient inutiles et qu’ils étaient obligatoires. Une fois la liste établie, je serais curieux de savoir combien il reste de citoyens dans notre pays. Y en-a-t-il encore huit millions six cent cinquante-six mille trois cent quarante-six ? Pourquoi ce chiffre ? C’est le nombre de voix en faveur d’Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle de 2017. C’est loin d’être un record pour un candidat finalement élu. Difficile de savoir si ces électeurs étaient tous responsables. Irresponsables, en tout cas, ceux qui confieraient à nouveau leur pays à un président qui obéit sans complexe à son "envie d’emmerder" et renoue tranquillement avec la logique du bouc émissaire. Irresponsables, mais citoyens : cela s’appelle la démocratie, je crois.