Ancienne présidente du Secours catholique, Véronique Fayet revient sur la rencontre des évêques de France, lors de leur dernière assemblée plénière, avec des groupes de personnes pauvres. La voix des pauvres qui a rejoint celle des victimes d’abus, raconte-t-elle, peut changer en profondeur les cœurs et transformer l’Église.
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En ce début d’année j’aime réentendre Dieu qui invite Moïse et son frère Aaron à bénir les fils d’Israël : « Que le Seigneur vous bénisse et vous garde ! Que le Seigneur fasse briller sur vous son visage ; qu’Il vous prenne en grâce… et vous apporte la Paix ! » (Nb, 6.) Cette bénédiction est pour chacun de nous ; elle est douce à entendre et à transmettre à ceux que nous aimons, particulièrement ceux qui sont dans le doute, la souffrance, la misère, le deuil...
L’accueil des pauvres
Il est bon aussi en ce début d’année de partager les bonnes nouvelles pour porter un regard d’Espérance sur le monde et sur l’Église. Je veux donc témoigner ici de ce que j’ai vécu à Lourdes, lors de l’Assemblée plénière de novembre dernier. Depuis des semaines, des groupes de personnes en précarité se préparaient à faire entendre « le cri des pauvres » à tous les évêques, à la demande de la Conférence des évêques elle-même qui depuis trois ans réfléchit à l’écologie intégrale, à la lumière de Laudato si’. Entre-temps est arrivé le rapport explosif de la Ciase et la nécessité pour les évêques d’en débattre et il a donc fallu « tricoter » ces deux préoccupations si différentes et si semblables. Et le miracle a eu lieu ! Miracle de Lourdes, bien sûr, mais aussi miracle de la Parole des pauvres.
Il faut qu’on nous écoute ; qu’on écoute ce qu’on à dire : les scientifiques, les savants ne nous écoutent pas parce qu’on est pauvres. On a juste à la fermer, quand on ne nous rit pas au nez.
Nos évêques ont d’abord écouté et rencontré les victimes d’abus sexuels pendant une journée. Au dire de ces derniers, le climat était tendu, les échanges difficiles, l’émotion à fleur de peau — sans doute de part et d’autre. Et puis est venu le temps de la rencontre avec les personnes en précarité — vingt groupes qui avaient envoyé chacun deux représentants et un animateur — avec leur naturel, leur joie de vivre, leur simplicité. Et ce sont eux qui ont accueilli les évêques à l’église Sainte-Bernadette. Un vrai accueil comme ils savent le faire : on chante et on applaudit chaque représentant venu, du Havre ou du Var, de Brest ou de Toulouse, de Lyon ou de Nantes... On apprend ensemble à gestuer le signe de croix, une méthode simple pour prier avec tout son corps quand les mots semblent un peu abstraits. Nos chers évêques et leurs invités se sont prêtés avec bonne humeur à cette célébration chantant avec cœur « C’est bon, c’est bon ! tout le monde est là, c’est bon ! »
Des belles rencontres ont suivi et des cris ont jailli : « Il faut qu’on nous écoute ; qu’on écoute ce qu’on à dire : les scientifiques, les savants ne nous écoutent pas parce qu’on est pauvres. On a juste à la fermer, quand on ne nous rit pas au nez. » Ou encore : « C’est dur quand on est seule. Dans ma vie, j’ai eu beaucoup de gens qui m’ont fait du mal, c’est dur à supporter. Comme j’ai pardonné, maintenant j’arrive à avancer sur le chemin du pardon. » Des cris de détresse : « Le regard des autres, ça fait mal : tu as parfois l’impression qu’on t’écrase ! », des cris de douleur : « Parfois on ne sent pas aidés par l’Église ; on sent qu’elle ne fait rien pour nous. » Mais parfois aussi, des paroles douces et consolantes : « Les évêques, les prêtres, ils endossent un sacré fardeau, ils le portent avec bonne humeur, c’est magnifique. » Des paroles d’espérance : « Ici, dans mon groupe local, je me sens accueillie et aimée ; on me fête mon anniversaire, on partage les joies, les peines… c’est comme si j’étais en famille. » Les pauvres ont conquis le cœur des évêques qui ont entendu leurs cris et leur demande d’une Église simple, accueillante, fraternelle. Tout cela sans jugement, dans la paix et la confiance.
Ces rencontres ont transformé la fin de la semaine, consacrée à nouveau à la crise des abus. Le cri des pauvres et le cri des victimes se rejoignaient. L’écoute des uns et des autres change les cœurs et ouvre de nouvelles perspectives. Les pauvres, comme les victimes, sont porteurs des solutions à construire ensemble. Ils et elles savent ce qui est bon pour eux et bon pour l’Église. En travaillant avec eux, à partir de leur expérience et de leur intelligence, des chemins s’ouvrent, simples et féconds. La cérémonie finale, avec les victimes d’abus, fut remplie d’émotion et d’humanité, preuve éclatante que la rencontre des pauvres et des petits transforme en profondeur les cœurs et transforme l’Église ! C’est si simple, si évident qu’il faut se mettre en marche pour le vivre en paroisse, en communauté, partout où les plus petits attendent que l’Église les invite au partage et à la fête. Sainte et joyeuse année, à l’écoute des pauvres et des petits !