Après avoir massé plus de 100.000 hommes à la frontière ukrainienne et transporté blindés et matériels militaires, la Russie a joué la carte de la désescalade et de la diplomatie. C’est un bras de fer sans fin qui se joue en Ukraine, terrain d’affrontement des visions géopolitiques russes et américaines. La Russie n’a jamais accepté l’indépendance de l’Ukraine et son détachement en 1991 au moment de la disparition de l’URSS. L’histoire et la parenté des deux peuples plaident en effet pour une union, chose inacceptable pour les Européens et surtout pour les Américains.
Dès les années 1990, Washington n’a cessé d’étendre l’OTAN à l’Est, y faisant entrer les anciens pays du Pacte de Varsovie. Pour les États-Unis, c’était une façon d’organiser la coopération européenne et le passage de ces pays vers l’Occident. Mais pour la Russie, cela était vu comme une agression dans l’étranger proche de Moscou et une tentative d’encerclement et d’étouffement. La Russie a posé des lignes rouges : aucun pays limitrophe ne devait intégrer l’OTAN, et surtout pas la Biélorussie et l’Ukraine.
Ukraine : le pays enlisé
Fracturée entre l’Est et l’Ouest, entre deux écrits de l’histoire, deux visions de la nation et de la relation avec la Russie, l’Ukraine est un pays de plus en plus délité. Après les révolutions de couleur qui ont vu l’opposition politique et sociale des clans russes et ukrainiens à Kiev, les manifestations, les élections manipulées et les tentatives d’assassinats, la crise ukrainienne a débouché sur la guerre du Donbass, où les conflits sévissent toujours depuis 2014. Puis ce fut la perte de la Crimée et son rattachement à la Russie (2014), amputant le territoire ukrainien de sa légitimité et de son accès à la mer. L’Ukraine est aujourd'hui un pays fracturé et amputé de plusieurs de ses régions périphériques, sans solution apparente possible.
Chacun des grands joue sa partition, dans un pays qui ne sort pas du marasme économique et où règne une corruption massive.
L’Ukraine a endossé le rôle redouté d’un État en guerre par procuration. Comme avant elle le Vietnam ou la Corée, comme aujourd'hui le Yémen, ce sont des États tiers qui subissent des guerres sur leur sol provoqué par l’affrontement de puissances extérieures qui y financent les groupes qui s’affrontent. En Ukraine, si les combattants du Donbass sont officiellement indépendants de Moscou, ils sont en réalité entraînés et financés par la Russie. De même pour les États-Unis qui aident les partis d’opposition à Moscou. Chacun des grands joue sa partition, dans un pays qui ne sort pas du marasme économique et où règne une corruption massive.
Vers des négociations ?
Après la pression militaire enclenchée par le déploiement de troupes à la frontière ukrainienne, Moscou joue désormais l’apaisement et la carte de la diplomatie. Les négociations de janvier porteront sur l’état futur de l’OTAN et sur la présence américaine. La Russie refuse catégoriquement que l’Ukraine soit intégrée à l’OTAN, ce qui serait un casus belli. Mais le gouvernement actuellement en place à Kiev, et soutenu par les États-Unis, continue d’espérer intégrer l’Alliance atlantique, à défaut de l’Union européenne, comme on lui fit miroiter au début des années 2000.
Pour la Russie, la non-intégration de l’Ukraine dans le giron de l’OTAN est une question vitale. Mais par rapport aux débuts des années 2010 et des premiers troubles à Kiev, la situation internationale a changé. La Russie a désormais récupéré le contrôle du Caucase, notamment en se faisant le médiateur de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan dans le conflit du Karabakh. Elle a également gagné en Syrie, en maintenant Assad au pouvoir et en faisant échouer les plans américains de remodelage du Moyen-Orient. Plus loin, en Afrique centrale, les mercenaires de Wagner tissent leur toile en Centrafrique et au Mali. En bien des lieux donc, le monde de l’Alliance atlantique recule à la suite de sa mise en échec par la Russie. Reste l’Ukraine comme point central.
Des Européens évaporés
Les grands absents, complètement évaporés, sont les Européens, notamment la France et l’Allemagne. La crise ukrainienne se joue entre la Russie et les États-Unis seuls, Paris et Berlin étant évincés, bien que membre du groupe de Minsk chargé de trouver une solution à la crise. Privée d’alliés européens, l’Ukraine se tourne vers la Turquie, à qui elle a acheté des drones, dont elle a déjà fait usage dans le Donbass, et vers la Chine, dont elle espère des investissements. Une arrivée d’acteurs extérieurs qui trouble quelque peu le jeu de deux que se livrent Russie et États-Unis. Pour la France, qui vient de prendre la présidence de l’Union européenne, la question ukrainienne devrait être un dossier prioritaire si l’Union veut espérer jouer un rôle dans le monde des relations internationales.