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C’est à Jouques, au nord d’Aix-en-Provence, dans une ferme entourée de vignes, que seize moniales bénédictines de l’abbaye Notre Dame du Temple dans l’Essonne décident de venir s’installer en 1967. Très vite d’importants travaux sont entrepris pour construire un monastère tandis que le bâtiment d’origine est transformé en hôtellerie. L’église est bénie deux ans plus tard. En 1981, le monastère est érigé en abbaye. En 1991, l’abbaye, qui attire de nombreuses vocations, essaime en fondant un nouveau monastère, Notre-Dame de Miséricorde, à Rosans dans les Hautes-Alpes. L’opération se renouvellera avec la fondation du monastère Notre-Dame de l’Écoute au Bénin en 2005. La jeune et ardente communauté de Jouques compte aujourd’hui 47 religieuses.
Les sœurs fidèles à l’esprit bénédictin sont de grandes travailleuses. Elles exploitent 20 hectares de lavande, oliviers, amandiers, abricotiers, romarin ; cultivent un potager et entretiennent un rucher. Au magasin de l’abbaye, on trouve les produits transformés issus de ces cultures : huiles et savons, tapenades, eau de lavande, amandes, confitures, miel. On y trouve aussi du vin car les sœurs possèdent un vignoble de 7 hectares. Elles assurent elles-mêmes la conduite de la vigne. Trois sœurs en ont la charge mais quand les travaux le nécessitent, au moment des vendanges notamment, c’est toute la communauté qui vient leur prêter main forte.
Le haut plateau qui domine la Durance sur lequel les vignes se déploient appartient à la Provence calcaire. Il est battu par les vents ce qui a d’heureuses conséquences sanitaires. Le terroir de Jouques se situe dans l’aire d’appellation "Coteaux d’Aix". Le paysage est somptueux, avec au nord le parc du Lubéron et au sud la montagne Saint Victoire cachée à la vue par le massif du Concors. "Ici, la clôture est naturelle. Pas besoin de mur car nous avons les falaises" explique avec humour sœur Armelle, cellérière de l’abbaye. Le vignoble, en revanche, reçoit les vents plus froids venus des Alpes. Les faibles pluies sont essentiellement concentrées au printemps et à l’automne. Les hivers sont gélifs, les étés très ensoleillés et chauds. Compte tenu de l’altitude, les écarts de température entre le jour et la nuit sont importants. Ils favorisent l’épanouissement de la vigne qui refait ses forces en profitant de la fraicheur nocturne. Tous ces phénomènes contribuent à estomper l’influence méditerranéenne.
Les sœurs sont devenues de véritables viticultrices qui cherchent à produire les plus beaux raisins possibles dans la fidélité à leur terroir.
Les vins ont certes un caractère sudiste mais ils développent une belle acidité qui leur donne un profil plus équilibré. La nature argilo-calcaire du sous-sol est particulièrement appréciée par le merlot et convient également très bien au grenache. Elle transmet au vin puissance et concentration. Ces deux cépages sont dominants dans le vignoble de l’abbaye de Jouques. S’y ajoutent de la syrah et du caladoc, croisement entre le grenache et le malbec. Les sœurs sont devenues de véritables viticultrices qui cherchent à produire les plus beaux raisins possibles dans la fidélité à leur terroir. Elles n’hésitent pas, cependant, à demander conseil à la proche cave coopérative des "Quatre Tours de Venelles". C’est elle qui vinifie les raisins de l’abbaye. Sœur Maïté, une des "religieuses vigneronnes" se félicite de cette association avec la coopérative qui apporte son infrastructure et ses indispensables compétences. Elle insiste sur la qualité des relations qui se sont établies avec leurs partenaires laïcs sans lesquels rien n’aurait été possible. La moitié de la production est mélangée avec les raisins d’autres coopérateurs pour produire des vins vendus sous l’étiquette de la coopérative. L’autre moitié est vinifiée dans des cuves spéciales pour élaborer les cuvées de l’abbaye auxquelles les sœurs associent un caractère qui leur correspond.
La première cuvée porte le nom de Fidelis, référence à cette vertu dont la Vierge Marie est le modèle, Notre-Dame de Fidélité. Elle est composée avec le seul merlot issu de ceps plantés en 1997. Il s’agit d’un vin souple, très rond qui exprime des arômes de cerise noire, de framboise et de mûre. La cuvée Louange est plus ambitieuse. La louange est l’un des axes majeurs de la règle de saint Benoit. La vie des moines et des moniales est une vie de louange. Elle consiste à ne rien préférer à l’œuvre de Dieu. On la retrouve dans la liturgie à la messe, dans les offices, dans le chant des psaumes mais aussi dans les moindres gestes et paroles de la vie quotidienne. "Ce nom dit notre admiration devant la façon dont la terre porte des fruits", dit sœur Marie Jean Bosco, une des trois moniales en charge du vignoble. Cette cuvée est principalement confectionnée avec des raisins de grenache issus de vignes plantées dans les années cinquante. Ce vin allie la force, l’élégance et la finesse. Très expressif, il est doté d’une grande énergie et d’une magnifique trame tannique. Il se livre sur des arômes d’épices et de fruits mûrs comme le pruneau et le cassis.
Depuis les vendanges 2020, les sœurs proposent un vin rosé, Provence oblige. Il est baptisé "Exsulta" car le vin est une source de joie. Il est le fruit d’un assemblage de grenache et de syrah. Il présente une belle robe rose pâle. Le nez s’exprime sur des notes florales et d’agrumes. La bouche est salivante. Le mariage avec la tapenade de l’abbaye s’impose. Un vin plein de charme qui provoque l’allégresse (Zacharie, IX,9) :
L’objectif, dans les prochaines années, est d’augmenter, davantage encore, la part des raisins dévolue à la réalisation des cuvées de l’abbaye. Ainsi, de nouvelles cuvées verront le jour qui permettront de méditer d’autres belles vertus chrétiennes en savourant le vin des sœurs.