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Au nom de quoi ne pourrais-je pas faire ce que je veux de mon corps, « si c’est mon choix » ? Justement au nom de ma liberté ! Certes mon corps m’appartient, au sens où il ne peut être considéré comme la propriété de quiconque. Cependant ma voiture m’appartient aussi et je ne peux pas les mettre tous les deux sur le même plan ! Ils ont en commun d’avoir une matérialité. Mais qui n’est pas du même ordre. Je peux aller au travail en laissant ma voiture au garage, mais non pas en laissant mon corps à la maison. Celui-ci n’est pas un bien détachable, échangeable, négociable, d’où l'ambiguïté de l’expression « mon corps m’appartient ».
Le corps n’est pas objet
En effet, le corps est le lieu de l’expression de la personne tout entière : une atteinte à l’intégrité physique est une atteinte à la personne, une agression sexuelle est une atteinte à la personne. Le corps n’est donc pas un objet. Il est ce grâce à quoi je suis sujet de ma vie, ce grâce à quoi je peux, de ma propre initiative, donner de mon temps, de mon énergie, et traduire en actions les aspirations personnelles qui jaillissent des profondeurs de notre vie intérieure. Lorsqu’on donne de soi-même, cela passe toujours par une dimension corporelle, et inversement lorsqu’on donne son corps, on donne de soi. Le corps n’est pas objet, malgré sa matérialité, il est ce grâce à quoi et ce par quoi je suis sujet. Votre voiture appartient au monde des objets, elle peut être considérée comme un moyen en vue d’une fin, votre corps, non.
Puisque le corps est l’expression de toute la personne et non un bien détaché, le traiter comme un objet revient à dénier à la personne son statut de sujet appelé à aller de lui-même vers sa réalisation en tant qu’être humain...
Une question d’honneur
Ainsi, tout acte qui fait du corps un objet, un terrain de jeu, un lieu de négociation, même consenti, est une atteinte à la liberté : puisque le corps est l’expression de toute la personne et non un bien détaché, le traiter comme un objet revient à dénier à la personne son statut de sujet appelé à aller de lui-même vers sa réalisation en tant qu’être humain ; c’est une atteinte profonde à la liberté et donc à la dignité. Il y a par conséquent, au sein des expériences techniquement possibles, une limite à ce que l’on peut consentir, pour soi et pour les autres, c’est pour reprendre les mots d’Henri Bergson, une question d’honneur. Retrouvons ces mots si forts de Bergson lorsqu’il évoque l’essence même d’une action véritablement libre : « L'action accomplie n'exprime plus alors telle idée superficielle, presque extérieure à nous, distincte et facile à exprimer : elle répond à l'ensemble de nos sentiments, de nos pensées et de nos aspirations les plus intimes [...], bref, à notre idée personnelle du bonheur et de l'honneur » (Essai sur les données immédiates de la conscience, PUF, p. 128). En un mot, celui ou celle qui consentirait à faire tout et n’importe quoi de son corps parce que c’est son choix, a déjà abdiqué sa liberté.