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Blé : la guerre des farines

BLE
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Jean-Baptiste Noé - publié le 25/11/21
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Jean-Baptiste Noé, directeur de la revue « Conflits » décrypte chaque jeudi les grands événements de l’actualité internationale. Il s’inquiète cette semaine du prix du blé qui ne cesse de croître. Aliment de base pour une part importante de la population mondiale, cette hausse menace de nombreux pays confrontés à des possibilités de disette.

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Tout est réuni pour que la situation soit mauvaise. Mauvaises récoltes dues à des pluies de printemps, confinement du monde pendant près d’un an qui a réduit la production, relance de l’élevage, qui se nourrit lui aussi de céréales, politique du développement du bio, qui réduit la quantité produite, autant de causes qui concourent à réduire les stocks de blé. Moins de blé mais plus de consommateurs, cela engendre une forte hausse des prix. 

Conséquences post-covid

Sur les marchés mondiaux, notamment à Rouen, le blé tendre se vend à près de 300 euros la tonne, soit une hausse de 55% en un an. La tonne de blé dur s’approche des 600 dollars, soit une hausse de 60% sur l’année. Or le blé représente un quart des céréales consommées dans le monde, que ce soit sous forme de pain, de semoule, de pâtes ou de céréales transformées. Le marché mondial du blé est particulier : la quasi-totalité des pays importe du blé, plus de 200, alors qu’une dizaine de pays seulement en exportent, dont la France et la Russie. Le continent africain est dépendant du blé français et européen, qui arrive par les ports d’Alexandrie, d’Abidjan et de Tanger. Une fois le blé débarqué, encore faut-il le transborder pour le transporter dans les villes et les villages du continent. 

Certes les ports ont désormais rouvert et le trafic maritime reprend son cours pré-Covid, mais la machine arrêtée durant de longs mois ne peut repartir aussi facilement.

La principale cause de cette hausse des prix, outre la mauvaise météo, est l’année de confinement intermittente imposée au monde. Une année pendant laquelle les ports ont été à l’arrêt ainsi que les transporteurs. En Asie, plusieurs pays, comme les Philippines ou l’Indonésie, sont passés au bord de la disette, n’étant plus alimentés en riz du Vietnam. Certes les ports ont désormais rouvert et le trafic maritime reprend son cours pré-Covid, mais la machine arrêtée durant de longs mois ne peut repartir aussi facilement. À Rouen, premier port européen de céréales, l’activité d’export se remet en marche, mais, comme dans les autres grands ports mondiaux, il y a embouteillage des vraquiers. 

Impéritie des pays

C’est l’Afrique et le Moyen-Orient qui sont le plus concernés par cette hausse. Alors que leur population n’a cessé de croître, notamment en Afrique noire, aucun progrès notable n’a été réalisé dans l’augmentation de la production alimentaire. L’Afrique subsaharienne est dépendante du blé produit en Europe ; sans lui, c’est la famine assurée. Ce manque de céréales n’est pas dû à des conditions climatiques ou géographiques défavorables, mais est la conséquence de politiques publiques néfastes.  

L’Afrique du sud, qui a longtemps été le réservoir alimentaire de l’Afrique australe, a détruit son appareil productif. Comme pour le Zimbabwe, les nationalisations des terres conjuguées aux massacres des fermiers ont ruiné un système agricole qui était tout à fait performant. Plusieurs pays qui bénéficient de la rente du pétrole n’ont pas fait les investissements nécessaires au développement d’un système agricole et alimentaire adéquat. Le Nigéria est ainsi aux premières loges du risque de disette, tout comme l’Algérie, dépendante au blé français. Bon exemple de cette impéritie politique, la comparaison Arabie Saoudite/Irak. À population presque comparable (35 millions d’habitants pour l’un, 40 millions pour l’autre), l’Arabie est autosuffisante en blé grâce au développement d’un système d’irrigation performant alors que l’Irak, qui bénéficie pourtant de l’eau du Tigre et de l’Euphrate, ne l’est pas.  

En 2008, lors de la précédente hausse des cours du blé, des émeutes de la faim s’étaient déclenchées, qui avaient abouti aux mouvements des printemps arabes. Le passage de l’instabilité alimentaire à l’instabilité politique est donc possible. Les mouvements djihadistes, juntes militaires et opposants déçus peuvent aisément utiliser les révoltes frumentaires pour aggraver les fragilités des pays. Il y a donc là un risque majeur pour l’ensemble de l’Europe. 

Le bio va-t-il augmenter le problème ? 

D’autant que la diminution de la production de céréales est planifiée par les acteurs politiques. En Europe, le plan Farm to fork prévoit une diminution de 30% de la production de céréales d’ici 2050. Si cela devait se réaliser, ce serait un accélérateur à révoltes frumentaires. Au Sri Lanka, le gouvernement a décidé de convertir l’ensemble de son agriculture au bio, en bannissant les produits phytosanitaires et les engrais. Exécutée depuis avril dernier, cette politique a laminé la production de thé, grande pourvoyeuse de revenus pour l’île, et a très fortement réduit la production de riz, à tel point que le pays a été classé en « urgence alimentaire », la population ne parvenant plus à se nourrir. Ces exemples démontrent que la question alimentaire est d’abord un sujet politique. Une alimentation abondante et de qualité nécessite une agriculture performante, ce qui suppose capitaux, intelligence et outillage, autant d'investissements qui ne peuvent se faire que sur le temps long. Si des mesures d’urgence peuvent être apportées pour limiter les risques de famine, les pays concernés devront revoir leur système productif s’ils ne veulent pas être de nouveau touchés par ces pénuries. 

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