Mais le cri de ces femmes n’est pas nouveau : en 1996, Brigitte Bardot avouait dans son autobiographie Initiales B.B (Grasset), que sa grossesse avait représenté "neuf mois de cauchemar". Et plus loin "Le cauchemar arrivé à son paroxysme, il fallait que j’assume à vie l’objet de mon malheur." En 2011, l’actrice Anémone avait choqué les auditeurs de Laurent Ruquier en dévoilant qu’avoir eu deux enfants avait "ruiné" son existence. Elle ajoutait cependant qu’elle n’avait "pas eu besoin de les désirer pour les aimer". L’actrice Jeanne Moreau disait également en 2012 dans une interview au Figaro Madame : "J’ai eu un enfant. Je n’en voulais pas. Je sais que je choque beaucoup de femmes. Mais je ne suis pas maternelle."
Aucun des témoignages de ces femmes ne mentionne que la mère n’aime pas son enfant. Au contraire, toutes se retrouvent à partager cet amour pour leur tout petit. En revanche, la maternité et tout ce qu’elle comporte est vécu comme un poids écrasant, un frein à leur carrière, une case à cocher pour être une femme accomplie, une pression sociale pour apparaitre comme la mère et la famille rêvées. Un regret qui touche à leur condition de femme, et qui remet en cause un état de fait : les femmes sont celles qui donnent neuf mois de leur vie pour façonner un nouvel être.
Simone de Beauvoir l’écrivait déjà il y a cinquante ans : "Son malheur, c’est d’avoir été biologiquement vouée à répéter la Vie". Même en tentant d’uniformiser l’investissement des deux parents dans la venue d’un enfant, la femme reste la personne qui donne la vie. La femme, en vivant la maternité, partage son corps pour cet enfant, ainsi que son cœur, ses remises en question, ses peurs. Elle devient mère et ce rôle n’était pas forcément un modèle dans leur enfance. Plusieurs témoignages montrent que leur regret vient de l’exemple que leur propre mère leur a donné, ou de blessures d’enfance qui ne témoignent de rien de merveilleux dans cette aventure de la maternité.
Se réconcilier avec la maternité
Si l’origine de ce regret vient en grande partie de leur histoire personnelle et de la pression sociétale, comment ces femmes peuvent-elles trouver la lumière au bout du couloir de leur amertume ? Elles ne se retrouvent pas dans les mots radicaux "donner la vie a été le plus beau jour de ma vie" ou "j’ai aimé mon enfant au premier regard" ou alors "je donnerais tout pour mon enfant". Y a-t-il pourtant un moyen d’apaiser leur cœur ?
Ces femmes le disent elles-mêmes, elles aiment leur enfant. La question est donc de se réconcilier avec la maternité, cette part de leur identité de femme qui permet à la vie de continuer, aux générations de se succéder.
Si le Seigneur a donné sa bénédiction et a permis d’accueillir un enfant, n’a-t-Il pas un plan ?
Quelle idée se fait-on de la maternité lorsqu’on décide d’avoir un enfant ? Pourquoi a-t-on osé franchir le pas ? Qu’imaginait-on du fait d’être mère ? Se sent-on libre dans cette décision d’être mère puis dans cette exigence que demandent les besoins d’un enfant ? Comment demeurer libre malgré ce fil à la patte, cet être maintenant lié à elle jusqu’à la fin de sa vie ? Et si justement le fait d’être mère pouvait apporter une autre dimension à l’existence ? Si le Seigneur a donné sa bénédiction et a permis d’accueillir un enfant, n’a-t-Il pas un plan ? La maternité n’est pas une aventure douce et rose, milles contraintes et épreuves jalonnent le quotidien, mais ces moments d’effort et de douleurs peuvent être autant de petites renaissances.
Plutôt qu'avoir un enfant, une femme accueille un enfant. La même réalité prend chair : un être vient dans le monde, mais la mère dans le premier cas coche la case "j'ai un métier, un cercle social, peut-être un conjoint, j'ai aussi un enfant"; dans le second cas elle accepte un nouveau chapitre de sa vie : "ma vie va être transformée et renouvelée, je commence un nouveau voyage, droit dans l'inconnu". Plutôt que le désir de posséder un bien qui pourra participer à sa vie quand et comme elle l'imagine, elle accueille un être qui pourra vivre auprès d'elle, grandir et s'épanouir selon ce qui est bon pour lui.
Renaître à soi-même
Le changement de perspective ne se fait pas sans douleur. Vient alors parfois le regret d'être mère et le doute terrible d'avoir fait une erreur en endossant ce rôle. Ces femmes ne doutent pas un instant d'aimer leur enfant, la nature a inscrit dans leur chair ce rôle immense, mais elles doutent de leur capacité à un tel accomplissement. Elles vivent comme un vertige : elles ont conscience de l'impact qu'elles ont dans la vie de cet être innocent qui n'a pas réclamé de vivre. Comment faire ? Comment l'aimer ? Comment ne pas le blesser ?
Oui ces femmes aiment leur enfant. Ce qu'elles n'aiment pas, c'est leur rôle de mère. Cette naissance les oblige à renaître à elles-mêmes. Elles ne peuvent pas tourner la tête, chaque petite chose du quotidien les ramène à leur propre histoire. Il va falloir construire, ou plutôt reconstruire. Regarder. Accepter. Guérir. Cela prend du temps, c'est le chemin d'une vie. Mais l'enjeu est si beau. Qu'elles n'aient pas peur ces femmes qui regrettent aujourd'hui d'être mère : cette naissance de leur enfant, cette renaissance à elles-mêmes, ce chemin de la croix les fera vivre d'un esprit nouveau. Vrai. Guéri. Réconcilié.