Jersey et les îles anglo-normandes
L’origine de cette discorde revient à la situation particulière des îles anglo-normandes. Cet archipel, situé à proximité de la Normandie, dispose de deux îles principales, Jersey et Guernesey, connues notamment pour avoir été le lieu de l’exil de Victor Hugo. Ces îles sont géographiquement plus proches de la France que de la Grande-Bretagne et sont enclavées dans les eaux continentales françaises, créant des conflits de frontières parfois difficiles à démêler, surtout quand il s’agit de trancher sur les accès aux zones de pêche. Ces îles n’ont jamais été françaises à proprement parlé et ne font pas partie du Royaume-Uni, donc de l’Union européenne. Elles étaient la propriété du duc de Normandie, reconnu suzerain de ces terres lors du traité de Saint-Clair-sur-Epte (911). Le duc de Normandie étant vassal du roi de France, elles étaient de facto sous la juridiction ultime du roi capétien. Mais lorsque Philippe Auguste confisqua les territoires normands de Jean sans Terre (1204), ces îles demeurèrent sous la juridiction de la couronne britannique et ne rejoignirent pas la couronne française ; une situation qui perdure jusqu’à aujourd'hui.
En exerçant ces contrôles et en établissant des sanctions, la France a voulu montrer qu’elle prenait le dossier au sérieux et qu’elle était prête à faire valoir ses droits, même si ces mesures ont fortement déplu au gouvernement anglais.
Les îles anglo-normandes n’ont jamais fait partie du Royaume-Uni : d’un point de vue juridique, elles sont des dépendances de la Couronne, au même titre que l’île de Man. N’ayant jamais fait partie de l’Union européenne, elles ne sont pas directement concernées par le Brexit. En revanche, la politique étrangère et la défense relèvent de la compétence de Londres. Ces îles vivent essentiellement des activités bancaires, ayant fait le choix d’une fiscalité faible, et du tourisme. Si l’activité de pêche n’est pas majeure pour leur équilibre économique, c’est une activité à forte symbolique, d’autant que les ressources sont comptées. D’où le bras de fer qui oppose aujourd'hui la France et la Grande-Bretagne.
Un problème pour Londres
Au-delà des seules îles anglo-normandes, la question de la pêche est un problème réel pour Londres. Il concerne d’une part l’accès aux lieux de pêche et d’autre part l’accès à la vente et aux marchés du continent. En fermant les ports, la France asphyxie les marins anglais, ce qui est politiquement délicat pour Boris Johnson. Signe de cette tension, l’ambassadeur de France a été convoqué par le Foreign Office. Le 27 octobre, ce sont deux navires anglais qui ont été contrôlés et verbalisés en baie de Seine par la gendarmerie maritime, dont l’un a été dérouté vers Le Havre pour défaut de licence de pêche. En exerçant ces contrôles et en établissant des sanctions, la France a voulu montrer qu’elle prenait le dossier au sérieux et qu’elle était prête à faire valoir ses droits, même si ces mesures ont fortement déplu au gouvernement anglais. Simultanément, ce sont plusieurs centaines de licences de pêche accordées par Jersey à des marins de Saint-Malo et de Granville qui n’ont pas été renouvelées. La tension est encore montée quand le gouvernement français a menacé de couper l’électricité, Jersey étant alimentée par une centrale nucléaire française.
Ce qui se joue autour du poisson est un conflit à plusieurs échelles. Celle de la lutte séculaire pour des ressources rares entre les pêcheurs malouins et ceux de Jersey. Celle du gouvernement français et britannique, autour des questions de licence et de négociation post-Brexit. Celle, enfin, entre Londres et Bruxelles, bien décidé à punir les Anglais qui ont quitté l’UE. Bulots, huîtres et saint-jacques se retrouvent les protagonistes d’un affrontement qui les dépasse.